Les points de vue de 6 chercheurs sur la violence, son apprentissage et les façons dont elle s'exprime.
Par Gilles Drouin
On ne naît pas violent, on le devient… pensez-vous. Et si l’agressivité était partiellement innée et que l’apprentissage consistait à devenir non violent? Voilà l’une des idées troublantes et éclairantes qu’avancent des chercheurs de l’École de psychologie et de l’École de service social.
Leurs regards se portent sur l’origine de la violence, sur les effets de la maltraitance des enfants, sur l’intimidation à l’école, sur la violence dans les couples d’adolescents, sur les contradictions entre modèles violents et préceptes pacifiques ainsi que sur une forme intrigante d’agressivité, celle que sous-tend l’homophobie.
D’une situation à l’autre, une constante se dégage: les chemins qui mènent à la violence ou à la non-violence sont pavés d’un mélange de facteurs individuels, familiaux et sociaux. Ici, tout n’est pas noir ou blanc.
Apprenons-nous la non-agressivité?
Dès l’âge de 18 mois, il est possible de déceler des comportements agressifs qui relèvent de l’héritabilité. L’agressivité serait-elle innée? «Les différences entre les enfants qui ont tendance à agir de façon agressive sont en grande partie déterminées par quelque chose d’inné, estime la chercheuse Ginette Dionne1. De quoi s’agit-il au juste? Nous ne le savons malheureusement pas avec certitude!»
Certains ont pointé la testostérone, parce qu’un fait demeure: si les filles peuvent faire preuve de violence, elles le font moins souvent que les garçons. «Ce que le taux de testostérone prédit surtout, ce sont les comportements de type dominant qui peuvent, mais pas nécessairement, être associés à la violence, précise la professeure à l’École de psychologie. Ce serait davantage la combinaison complexe de certaines hormones qui prédisposerait des individus à plus d’agressivité.» Il faut aussi dire que les adultes tolèrent davantage la violence des garçons que celle des filles.
La communauté scientifique a longtemps pensé que les enfants apprenaient les comportements agressifs au sein de la famille, avec les pairs ou par la télévision et le cinéma, par exemple. Ce serait plutôt l’inverse qui se produirait: ils apprennent à ne pas être agressifs.
Dans un parcours de vie, le moment où la personne est la plus violente en termes de fréquence se situe vers l’âge de quatre ans. «On ne s’étonne pas qu’un enfant en bas âge qui se sent frustré pose un geste violent, parce qu’il n’a pas encore la capacité de se contrôler et d’utiliser une stratégie alternative», remarque Ginette Dionne. En général, les comportements agressifs diminuent à partir de l’âge scolaire, grâce à la socialisation.
Pour diverses raisons, dont une propension innée et certains problèmes cognitifs, des enfants restent insensibles à cette socialisation. Mais la plupart apprennent à contrôler cette agressivité, à l’utiliser uniquement dans les situations de danger extrême. «C’est ce qui fait que la violence reste tout de même un événement rare», conclut Ginette Dionne.
Maltraitance: de victime à agresseur
Les enfants maltraités au cours de l’enfance deviennent parfois des victimes, parfois des agresseurs, parfois les deux… «Divers parcours conduisent au rôle d’intimidateur et d’agresseur», confirme Marie-Hélène Gagné2, professeure à l’École de psychologie. Deux chemins semblent plus fréquentés.
L’incompréhension
Un jeune qui est victime de maltraitance ne comprend pas ce qu’il lui arrive. Il ne sait jamais ni quand ni pourquoi son père, par exemple, lui donnera une taloche derrière la tête en rentrant du travail. «Cette incompréhension rend les enfants hypervigilants, explique Marie-Hélène Gagné. Ils ont de la difficulté à décoder la situation et cette lacune les accompagnera dans les autres facettes de leur vie.»
Cet enfant se sentira facilement menacé par les autres et c’est ce sentiment qui le conduira à être agressif en paroles ou en gestes, comme s’il agissait en légitime défense, sauf que la menace n’est pas réelle. La petite taquinerie devient pour lui une agression verbale. Il explose. «Ce jeune a souvent une violence très réactive qui s’apparente parfois à des réactions post-traumatiques», avance-t-elle. Continuellement sous le stress d’une agression imprévisible, l’enfant apprend à attaquer avant d’être attaqué.
L’apprentissage social
Exposé à une relation conjugale houleuse ou encore à des relations parent-enfant empreintes d’agressivité, de coercition, de violence physique ou verbale, l’enfant apprend que l’agression peut être un moyen d’obtenir ce qu’il veut. «Parents et enfants se renforcent dans leurs comportements agressifs», ajoute la professeure. Tous les enfants ne seront toutefois pas affectés de la même façon. «L’apprentissage est en quelque sorte favorisé par la base innée qui explique une partie du comportement agressif d’une personne: cette composante innée n’explique pas tout, mais elle contribue à prédisposer un enfant à des comportements agressifs», remarque Marie-Hélène Gagné.
Comment prévenir l’intimidation?
Psychologue et professeur à la Faculté des sciences de l’éducation, Égide Royer3 est un expert mondial de la prévention de la violence à l’école, son domaine de recherche depuis plus de 20 ans. Il estime que de 6% à 10% des jeunes seront victimes d’intimidation à l’école à des degrés divers.
Certaines des victimes de l’intimidation deviennent elles-mêmes des intimidateurs. Une situation qui mène parfois au drame. «Plusieurs des tueries récentes dans les écoles américaines sont le fait d’élèves qui ont souffert d’intimidation ou de rejet», estime Égide Royer.
«Une des meilleures façons de contrer l’intimidation, croit-il, est d’intervenir dès la garderie et la maternelle. On y voit déjà certains enfants qui manifestent des comportements violents et qui ont peu d’empathie. En cette matière, un gramme de prévention vaudra d’ailleurs toujours un kilo d’intervention.»
Fort de son expérience, Égide Royer estime que les campagnes de sensibilisation, films, pièces de théâtre et conférences sauront toucher entre 80% et 85% des jeunes. Ces derniers comprendront les ravages de l’intimidation et de la violence. Pour les autres, toutefois, il faudra une intervention directe, plus personnalisée.
Le chercheur évalue que de 10% à 15% des jeunes ont besoin d’être suivis par des adultes bien formés, de préférence des psychologues et des psychoéducateurs, qui les prennent en charge avec le soutien d’une personne officiellement responsable au sein de l’école, mais aussi des enseignants, de la direction de l’école, des parents et de tous les adultes témoins.
Enfin, moins de 5% requièrent une intervention intense et urgente, incluant un cadre et un suivi très prévisibles. «Il ne faut surtout pas les exclure de l’école. Si nous voulons faire oeuvre d’éducation, il faut les maintenir avec nous», conclut Égide Royer.
3 Égide Royer est notamment chercheur au Centre de recherche et d’intervention sur la réussite scolaire (CRIRES), membre du comité scientifique de l’Observatoire international de la violence scolaire et co-directeur de l’Observatoire canadien sur la prévention de la violence à l’école (OCPVE). ↩
Violence dans les couples d’ados
Au départ, étant donné que les couples d’adolescents sont plutôt instables, les chercheurs avaient tendance à penser qu’en cas de violence, la rupture suivrait rapidement. «La réalité est bien différente et on retrouve au sein des couples d’adolescents les mêmes formes de violence que chez les adultes», constate Francine Lavoie4, professeure à l’École de psychologie et spécialiste des relations amoureuses des adolescents. C’est donc dès l’adolescence que la violence, sous toutes ses formes, peut s’immiscer au sein d’un couple.
Et les garçons ne détiennent pas le monopole de la violence physique. «S’affirmer physiquement est une tendance récente chez les adolescentes, souvent en réponse à des comportements sexistes et violents de leur compagnon», remarque-t-elle.
«Les garçons représentent la quasi totalité des auteurs des agressions sexuelles et des agressions ayant fait l’objet de plaintes auprès de la police, explique la professeure. Toutefois, des enquêtes sur le terrain font ressortir que des filles admettent avoir déjà frappé leur copain.» Bien sûr, les blessures découlant d’une gifle par une fille ne se comparent pas à celles provenant d’un garçon. «Il faut toutefois déplorer autant la violence physique des filles que celle des garçons, car toute violence est destructrice», croit Francine Lavoie.
Selon les études, la proportion des adolescents qui sont des agresseurs dans leurs relations amoureuses varie de 12% à 40%. «Le phénomène est actuellement très difficile à chiffrer», reconnaît Francine Lavoie, qui s’apprête cependant à dévoiler les résultats d’une enquête québécoise auprès des 14-18 ans à laquelle elle a participé.
Qu’est-ce qui prédispose un jeune à vouloir exercer ce contrôle? «Il n’y a malheureusement pas de réponses simples. Plusieurs trajectoires mènent à exercer la violence. C’est toujours un mélange de facteurs individuels, familiaux et sociaux. Il faut donc travailler sur ces trois plans si nous voulons changer les choses.»
Modèles d’hommes demandés
La socialisation joue un rôle clé dans l’atténuation des comportements agressifs chez les très jeunes enfants. Pour les garçons, cette socialisation est toutefois contradictoire. Entre les directives explicites d’un parent ou d’un enseignant et les modèles masculins véhiculés, entre autres par le cinéma et la télévision, le garçon peut avoir du mal à s’y retrouver.
Un de ces modèles est l’acteur américain John Wayne qui, tout au long de sa carrière, a joué l’homme dominant, sûr de lui et de ses valeurs, et n’hésitant pas à utiliser la force – le seul moyen qu’on lui connaissait, pour faire valoir ce qu’il considérait ses droits. «Il est encore souvent cité en exemple», remarque Gilles Tremblay5, professeur à l’École de service social. Ce genre de modèle de masculinité domine encore et toujours, et son influence est déterminante dans la construction de l’identité des garçons.
Au départ, la façon d’éduquer les garçons met la table. «Dans le développement de l’enfant, explique Gilles Tremblay, un principe de base veut qu’il faut d’abord favoriser l’attachement et, ensuite, l’autonomie.» Or, nous faisons l’inverse avec le garçon. Au lieu de consoler celui qui se fait mal (l’attachement), nous minimisons sa douleur en lui disant de se relever et de continuer à courir (l’autonomie). Ce genre d’attitude, encore trop répandue, crée une peur de montrer sa vulnérabilité, un sentiment d’insécurité et une anxiété que le garçon cherchera à contrôler, parfois par la violence («je dois être fort»). A-t-on déjà vu pleurer John Wayne malgré la blessure béante causée par la balle de l’ennemi?
Tout se déroule alors que le jeune garçon cherche à créer son identité masculine. «Comme le démontre le sociologue américain Michael Kimmel, la masculinité n’est pas donnée, il faut la gagner, la prouver, rappelle Gilles Tremblay. Nos travaux vont dans le même sens. Les jeunes qui ont de sérieux troubles de comportement n’ont pas nécessairement de problèmes d’identité. Plus ils sont violents et dans la délinquance, plus ils sont sûrs d’eux-mêmes, plus ils se sentent des « vrais ». Ils prouvent leur masculinité par la violence.»
Pour contrer cette tendance et désamorcer les bombes humaines que constituent certains hommes, il importe de diffuser des modèles différents. «La société ne véhicule pas des modèles d’hommes plus ouverts, plus sensibles à la réalité humaine; on commence à en voir un peu plus au cinéma, mais c’est encore mineur. Il faut présenter des modèles d’hommes entiers qui sont capables de réaliser de grandes choses sans violence, comme un Nelson Mandela», considère Gilles Tremblay.
Homophobie ou la peur de l’autre en soi
Il y a les hommes qui n’aiment pas les hommes qui aiment les hommes… Qu’y a-t-il derrière cette réaction agressive qui va du sarcasme au meurtre? «La réponse se trouve dans la définition même de l’homophobie, conçue comme une -peur de l’autre en soi-, c’est-à-dire une réaction de rejet devant ce qu’on n’accepte pas ou ne voudrait pas accepter en soi-même», explique Michel Dorais.
Sociologue de la sexualité et professeur à l’École de service social, Michel Dorais6 remarque que les homophobes les plus virulents sont souvent des hommes qui ont eu, qui ont, ou qui désirent avoir des rapports homosexuels tout en n’acceptant pas du tout ce désir. «Ils entendent donc punir ceux qui représentent ou expriment ce qu’ils répriment en eux, consciemment ou non», ajoute-t-il.
«Lorsque je faisais de la consultation en protection de la jeunesse, raconte le chercheur, j’ai traité deux cas d’adolescents qui avaient très violemment agressé des hommes gais. Leurs propos montraient qu’en battant des gais, ils tentaient de se prouver qu’ils n’étaient pas eux-mêmes gais, en dépit des relations homosexuelles, très culpabilisées, qu’ils avaient par ailleurs.»
Selon Michel Dorais, s’ajoute à cela le fait que l’homophobie est très souvent accompagnée d’un dénigrement du féminin, d’où les insultes homophobes les plus courantes qui font toutes allusion à une prétendue féminité des hommes gais. «La recherche montre aussi que les personnes homophobes sont, la plupart du temps, sexistes, racistes et intolérantes face à la diversité humaine de façon générale. Leur doute ou leur fragilité identitaire font en sorte que les différences sont perçues comme menaçantes. Agresser un gai, c’est donc se rassurer.»
Publié le 17 mai 2012
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