À la question «Pourquoi dormons-nous?», 5 chercheurs apportent un élément de réponse.
Par Pascale Guéricolas
Non, le sommeil n’est pas une petite mort! Il s’agit plutôt d’une activité à part entière, et même d’une activité vitale.
Cette drôle de période quotidienne pendant laquelle chacun se coupe du monde serait nécessaire, autant pour le fonctionnement de son cerveau ou pour conserver sa santé et sa silhouette que pour éviter de somnoler en plein jour, estiment les spécialistes du sommeil.
Tous s’y adonnent, depuis le nouveau-né avec ses 18 heures de dodo –si ses parents sont chanceux– jusqu’à l’adulte qui dort de 7 à 9 heures. Pourquoi?
1- Parce que c’est l’état que le cerveau préfère
«Pour le cortex cérébral, le sommeil est l’état de base, l’état le plus stable», affirme Igor Timofeev1, professeur au Département de psychiatrie et de neurosciences.
Malheureusement, on ne peut se limiter à dormir. «Au fond, reprend-il, être éveillé nous permet surtout de rester vivants et d’assurer les fonctions biologiques.» Il faut bien s’alimenter, éliminer et se reproduire…
Alors, que se passe-t-il dans le cerveau pour qu’il semble fait pour le sommeil? «Dormir est un état d’équilibre entre des périodes d’activité et d’absence d’activité cérébrale. Ceci est important pour l’apprentissage, parce que ces processus ne sont pas perturbés par des stimulus externes comme ils le sont lorsqu’une personne est éveillée», note Igor Timofeev, qui étudie les échanges entre les neurones en observant l’activité électrique alors générée.
On sait depuis quelque temps déjà, grâce à ces ondes électriques, que le niveau d’activité neuronale varie énormément au cours des trois phases du sommeil –léger, profond et paradoxal (le domaine des rêves). Dans son laboratoire, le neurophysiologiste cherche notamment à comprendre comment les différents niveaux d’activité neuronale jouent un rôle dans la rétention d’information et à quel point chacun contribue à la plasticité de notre cerveau toujours en mode d’adaptation.
1 Igor Timofeev est également membre du Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec. ↩
2- Parce que ça permet de trier l’information
À quoi ressemble un cerveau humain endormi? À un gigantesque centre de tri. Selon Célyne Bastien2, professeure à l’École de psychologie, le sommeil offre l’avantage au cerveau de faire le ménage et de consolider les acquis, en particulier durant le sommeil paradoxal au cours duquel on rêve. La fonction cognitive peut alors se reprogrammer. Puis, les données inutiles se retrouvent aux vidanges, pardon, dans les rêves.
«Dans la journée, nous sommes bombardés de stimulations par la lumière et les bruits. Selon une théorie, le sommeil paradoxal sert à rejeter toutes les données dont nous n’avons pas besoin, tandis que les autres sont rangées dans des tiroirs», décrit la chercheuse.
Dormir n’est donc pas le contraire d’être éveillé comme on l’a longtemps cru, mais plutôt un état complémentaire. Cependant, le sommeil et les rêves demeurent encore très mystérieux. «Freud et ses théories sur le rêve à travers la conscience et l’inconscience ont pris beaucoup de place, au détriment de la recherche sur les fonctions principales du sommeil», constate Célyne Bastien.
Dans ses travaux actuels, la psychologue constate que le cerveau de patients endormis réagit à certaines stimulations extérieures comme des sons très brefs, sans pour autant les réveiller. Elle cherche notamment à comprendre pourquoi certains sons réveillent une personne, alors qu’une autre y reste parfaitement insensible.
2 Célyne Bastien, chercheuse au Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec, est aussi vice-présidente (recherche) de la Société canadienne du sommeil et directrice des programmes de 1er cycle à l’École de psychologie. ↩
3- Parce que c’est bon pour la santé
Pendant le sommeil, le corps se repose et, même, se régénère. Plusieurs processus permettent alors de produire des cellules toutes neuves, de rétablir des mécanismes physiologiques, de fabriquer des hormones.
Diverses études suggèrent également que dormir aurait des vertus curatives pour les gens qui souffrent du cancer. Mais en évoquant ce genre de bénéfices, Josée Savard est d’une grande prudence, elle qui travaille sur les répercussions psychologiques du cancer.
Professeure à l’École de psychologie, Josée Savard3 juge qu’il ne faut pas sauter trop vite aux conclusions dans ce domaine.
D’une part, oui, des études ont établi une relation entre sommeil et système immunitaire, dans la population en général et chez les personnes atteintes de cancer. «Si une personne dort mal, son système immunitaire semble être altéré, rapporte-t-elle. Et lorsque quelqu’un a une infection et que son système immunitaire est diminué, il dort davantage.»
Par contre, ces résultats ne permettent pas de conclure à un effet direct sur la santé, considère-t-elle. Écoutez ce qu’elle en dit:
La psychologue note toutefois que les patients qui suivent une thérapie pour améliorer la qualité de leur sommeil se sentent mieux:
Au cours de ses recherches, Josée Savard a constaté que les personnes souffrant d’un cancer présentent un risque de 2 à 3 fois plus élevé d’avoir des troubles du sommeil. Souvent parce que ces malades souffrent d’anxiété, ou parce que ce sont des femmes brusquement devenues ménopausées du fait de la chirurgie ou des traitements.
La psychologue et son équipe cherchent maintenant à définir le rôle des perturbations du sommeil sur le fonctionnement immunitaire en général pour les cancéreux, et pas seulement sur l’évolution très complexe du cancer lui-même. Ils se demandent aussi si un sommeil de piètre qualité entraîne un risque accru d’infections chez les personnes en traitement de chimiothérapie.
3 Josée Savard est également très active au Centre de recherche du CHUQ. ↩
4- Parce que ça nous aide à combattre l’obésité
Et si notre lit constituait un objet aussi important que notre vélo stationnaire pour garder la ligne? Angelo Tremblay4, professeur au Département de médecine sociale et préventive, constate depuis plusieurs années l’importance du sommeil pour éviter de prendre du poids. Au point que le manque d’heures de repos constitue un des indicateurs les plus importants pour prédire un risque d’obésité chez un individu, «avant même le manque d’activité physique et l’apport en lipides», lance le chercheur.
L’équipe d’Angelo Tremblay a par exemple suivi 43 sujets pendant 6 ans, des gens qui dormaient en moyenne moins de 6 heures par nuit au début de l’étude. La moitié de ces petits dormeurs ont progressivement allongé leur nuit de sommeil jusqu’à 7 ou 8 heures. Après les 6 années, ces derniers ont pris 2 fois moins de poids que ceux qui dormaient toujours moins de 6 heures.
Grâce à une autre étude, réalisée sur 2000 personnes de Québec suivies pendant plus de 20 ans, Angelo Tremblay a fait une autre démonstration. Dans ce large échantillon, les personnes qui dorment peu et qui ont une alimentation pauvre en calcium et une forte tendance à la désinhibition alimentaire (manger en réponse au stress et aux émotions) courent 6 fois plus de risques d’être en surpoids. Contre seulement 3 pour les sujets qui ne pratiquent pas d’activités physiques intenses et qui consomment beaucoup de graisses.
Pour le chercheur, ces résultats montrent bien que l’obésité dépend d’une multitude de facteurs et que le sommeil y contribue. Même si les mécanismes physiologiques qui lient sommeil et surpoids s’expliquent encore mal. Le rôle joué par les hormones ferait partie du casse-tête. On sait notamment que, lors d’une nuit écourtée, notre corps a tendance à produire une hormone qui stimule l’appétit, la ghreline. Dormir tout son saoul contribuerait donc à faciliter le contrôle de l’appétit.
4 Titulaire de la Chaire de recherche du Canada en activité physique, nutrition et bilan énergétique, Angelo Tremblay fait également de la recherche au Centre de recherche de l’Institut universitaire de cardiologie et de pneumologie de Québec. ↩
5- Parce que c’est la meilleure façon de rester vigilant le jour
Passer quotidiennement de l’éveil au sommeil, et vice-versa, relève d’un jeu d’équilibre de haute voltige. Après 7 à 10 heures de repos selon les individus, le besoin de s’éveiller s’impose et dormir devient impossible. Au fur et à mesure que la journée avance et que les heures s’accumulent, la somnolence s’installe –un processus linéaire.
«Quand la période d’éveil excède 21 heures, nos performances cognitives ressemblent à celles de quelqu’un qui aurait un taux d’alcoolémie équivalent à ,08, précise Charles Morin5. Les gens ont tendance à banaliser le manque de sommeil alors que le risque d’accidents ou d’erreurs augmente énormément.»
Ce phénomène de somnolence ne se limite pas à ceux qui enchaînent 2 ou 3 journées de travail en une. C’est facile de piquer du nez en début d’après-midi, une baisse d’énergie qui correspond à un creux dans les rythmes naturels, ou de somnoler en voiture lorsqu’on occupe le siège du passager.
Le besoin irrésistible de dormir en plein jour touche beaucoup de personnes. Une étude récente effectuée par Charles Morin et l’étudiant-chercheur Simon Beaulieu-Bonneau montre que 27% de 1362 Québécois interrogés ont une propension à la somnolence diurne. Les plus touchés: ceux qui cumulent études et emploi ainsi que ceux qui dorment moins de 7 heures par nuit.
Comment réagir si le sommeil s’impose dans des circonstances inappropriées, au volant par exemple? «Ça ne sert à rien de monter le volume de la radio ou d’ouvrir les fenêtres, remarque le chercheur. Mieux vaut s’arrêter pour dormir une vingtaine de minutes afin de récupérer notre vigilance et nos fonctions cognitives.» Le remède vaut pour toutes les circonstances. «En général, une courte sieste n’altère pas la qualité du sommeil nocturne, sauf pour les insomniaques.»
5 Charles Morin est professeur à l’École de psychologie, directeur du Centre d’étude des troubles du sommeil et membre du Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec. ↩
Publié le 7 novembre 2012
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