10 lieux improbables d’Amérique française
Le français en milieu minoritaire se fait souvent discret: voici 10 occasions de le débusquer!
Par Louise Desautels
Vous prévoyez des escapades hors Québec au cours des prochains mois? Pourquoi ne pas en profiter pour faire un détour vers des lieux improbables où le français se voit et s’entend, pour peu qu’on soit ouvert et attentif? Avec la complicité d’amoureux de la francophonie nord-américaine, professeurs actifs ou retraités de l’Université, Contact propose 10 points de chute qui figurent rarement sous cet angle dans les guides touristiques.
1. Woonsocket, Rhode-Island 2. La Petite Haïti, Floride 3. Bayou Lafourche, Louisiane 4. San Francisco, Californie 5. Whitehorse, Yukon | 6. Batoche, Saskatchewan 7. Mattawa, Ontario 8. Cap-Pelé, Nouveau-Brunswick 9. Chéticamp, Nouvelle-Écosse 10. Saint-Pierre-et-Miquelon, France |
1. Woonsocket, Rhode-Island
La Nouvelle-Angleterre a déjà été très francophone! Yves Roby1, professeur retraité du Département d’histoire, rappelle qu’au début du 20e siècle, plusieurs villes étatsuniennes comptaient une forte proportion de francophones: 60% à Woonsocket (Rhode-Island), 40% à Manchester (New Hampshire) et 26% à Lowell (Massachusetts).
«Quand j’ai visité ces villes, il y a déjà quelque temps, et que j’y voyais des vestiges du passé franco-américain (églises, écoles au nom français ainsi que patronymes familiers sur des affiches commerciales, dans les cimetières et sur les boîtes aux lettres), je fermais les yeux et, en imagination, je voyais des milliers de francos se rendant à l’usine, à l’école ou aux terrains de loisir.»
L’historien croit que le touriste curieux partagera son plaisir: «S’il est chanceux, il entrera dans un petit restaurant où l’on comprend le français, dans une librairie où sont fièrement étalés les titres (anglais) de Jack Kerouac, Annie Proulx, Richard Russo ou Marcel Theroux. Il pourra parler français avec l’une des quelques dizaines de milliers de personnes encore capables de le comprendre et de le parler sur les millions de descendants d’émigrés du Québec. Et il voudra en apprendre davantage.»
Le centre de la petite ville de Woonsocket se prête bien à un tel programme. Surtout si l’escale inclut une visite du Museum of Work and Culture.
1 Yves Roby a entre autres publié Les Franco-Américains de la Nouvelle-Angleterre (2003) et Histoire d’un rêve brisé? Les Canadiens français aux États-Unis (2007) ↩
2. La Petite Haïti, Floride
Il n’y a pas que des retraités québécois qui parlent français, dans le Sunshine State: les Haïtiens s’y trouvent aussi, et en grand nombre (plus d’une centaine de milliers). En banlieue de Miami, un quartier est même connu comme Little Haiti. Souvent déconseillé aux touristes qui seraient rebutés par les difficiles conditions de vie des familles de réfugiés établies là entre 1970 et aujourd’hui, le quartier attire pourtant les amoureux du français, tout comme ceux du créole, de la musique, de la cuisine et de la bonne humeur proverbiale des Haïtiens.
C’est le cas de Dean Louder2, professeur retraité du Département de géographie. Conquis par la réception qu’ont réservée les habitants de ce quartier à lui et à ses étudiants, dans les années 90, il incite toujours les curieux à s’y aventurer avec l’esprit ouvert: «Les Haïtiens sont tellement accueillants et chaleureux!».
Un bon point de départ pour amorcer ce plongeon dépaysant: le Centre culturel haïtien. En plus d’y admirer les œuvres picturales que présente la salle d’exposition, on peut régulièrement y assister à des représentations musicales et théâtrales. Parmi les autres lieux qui donnent l’occasion de se frotter au français et à la culture haïtienne: la librairie Mapou –où figurent en bonne place les livres des grands de la diaspora haïtienne, dont Dany Laferrière. Il ne faut pas non plus négliger les restos et, pour qui sait user d’une curiosité respectueuse, les botanicas, ces adresses commerciales où officient des prêtres vaudou.
3. Bayou Lafourche, Louisiane
Le français s’entend presque exclusivement à la radio, pour qui visite la Louisiane. Les interlocuteurs francophones sont pourtant à notre portée, assure Dean Louder, grand collectionneur d’amitiés francophones en Amérique du Nord. Il raconte d’ailleurs ses pérégrinations récentes dans Voyages et rencontres en Franco-Amérique. Pour lui, la Nouvelle-Orléans (avec son quartier français) et ses environs restent un fort point d’ancrage du français aux États-Unis: «Il suffit de s’arrêter à Bayou Lafourche, à la Nouvelle-Ibérie ou à Lafayette puis d’approcher les habitants avec respect et persévérance pour avoir la chance de discuter en français avec certains d’entre eux.»
Cécyle Trépanier3, elle aussi professeure retraitée du Département de géographie, partage avec M. Louder l’envie de recommander une escale à Bayou Lafourche, qu’elle chérit. Là, le français fait toujours partie de l’identité sinon de la langue d’usage des résidants, assure-t-elle. À la population d’origine acadienne, se sont ajoutées des familles en provenance d’Haïti et d’Afrique.
Mme Trépanier suggère également un arrêt à Saint-Martinville, petite municipalité d’origine cadienne où se trouve le Musée du mémorial acadien. Au programme: survol historique, accès aux ressources généalogiques et, pour ceux qui s’y présenteraient en mars, festival acadien coloré.
4. San Francisco, Californie
Certes, le quartier français de San Francisco est loin d’être un ghetto francophone! Son existence témoigne toutefois de la présence historique des Français en Californie, une présence maintenue par les vagues successives d’arrivants franco-européens. Le dernier recensement disponible montre qu’en 2000, pas moins de 32 000 personnes nées en France vivaient dans l’État. Ce qui laisse bien sûr de côté les francophones d’autres origines ainsi que leurs descendants. Le chiffre donne pourtant une indication que, dans de nombreuses cellules familiales de la Côte Ouest étatsunienne, la langue est bien vivante.
À quel endroit peut-on faire la connaissance de Franco-Californiens? Cécyle Trépanier, professeure retraitée du Département de géographie, propose immédiatement l’Alliance française. Avant-poste de la France partout dans le monde, l’organisation est particulièrement active à San Francisco. Francophones, francophiles et touristes s’y côtoient lors des activités de l’Alliance: soirées de cinéma, ateliers de dégustation de vins, etc.
Toujours à San Francisco, on peut aussi surprendre des conversations françaises avant ou après la messe catholique qui se déroule dans la langue de Molière tous les dimanches, à l’église Notre-Dame-des-Victoires.
5. Whitehorse, Yukon
Dans la plupart des capitales provinciales du Canada, on peut flairer une vie en français, notamment autour de la Cité francophone et du Campus Saint-Jean, à Edmonton, ou dans la paroisse Sacré-Cœur de Toronto. Mais c’est Whitehorse, au Yukon, qui a gagné le cœur de Cécyle Trépanier, retraitée du Département de géographie. «Là, lance-t-elle avec fougue, la communauté francophone est vibrante!»
Sur une population de 33 000 personnes, le Yukon compte quelque 1200 Québécois, Franco-Manitobains et autres Acadiens de langue maternelle française, qui gravitent autour de l’Association franco-yukonnaise. L’organisme diffuse un bulletin hebdomadaire et des émissions de radio, présente des expositions, anime des ateliers, offre un service d’orientation pour adultes…
Whitehorse a aussi une école primaire francophone et même «son» prêtre francophone, Claude Gosselin (un diplômé en théologie de l’Université Laval), qui participe à l’animation de la communauté depuis 10 ans.
Pour le touriste, la meilleure occasion de parler en français est le café-rencontre qui se tient tous les vendredis à 17h (sauf en juillet et août) à la Maison de la francophonie.
6. Batoche, Saskatchewan
Une plongée dans l’histoire franco-métisse du Canada. Voilà ce que propose Étienne Rivard4, coordonnateur de Centre interuniversitaire d’études québécoises basé à l’Université Laval et chargé de cours au Département de géographie. Le lieu historique de Batoche, géré par Parcs Canada et situé au nord-est de Saskatoon, montre les vestiges du village métis et les traces de la célèbre bataille finale de la Rébellion de 1885. «Même les tranchées où s’abritaient les combattants métis sont préservées; j’ai été impressionné le jour où je me suis trouvé là. C’est un lieu hautement symbolique qui, au même titre que la maison de Louis Riel à Saint-Boniface, reconnaît l’importance des Métis dans notre histoire.»
Les Métis y tiennent d’ailleurs chaque année une grande fête, «Back to Batoche». Il ne s’y entend plus guère de français, et très peu de mitchif, ce mélange de français et de cri, précise M. Rivard, «mais ces langues font vraiment partie de l’identité métisse».
Batoche est à un saut de puce du village de Saint-Louis, où les francophones forment la majorité. Une autre région fransaskoise se trouve dans le sud de la province, autour de Gravelbourg. Si vous y passez, allez faire un tour à Willow Bunch, très francophone comme son nom ne l’indique pas. La preuve? C’est le village de Carmen Campagne et de toute sa famille du groupe de musique Hart Rouge.
7. Mattawa, Ontario
Quel point de chute en Ontario aurait une résonnance pour des francophones mais auquel on ne pense pas aussi facilement que Sudbury, Orléans ou Windsor? C’est un élan sentimental qui pousse Marc St-Hilaire5 à pointer Mattawa, municipalité à 40% francophone sise au confluent des rivières Outaouais et Mattawa: «C’était la porte d’accès aux « pays d’en haut » pour Samuel de Champlain et les coureurs des bois. Et c’est un peu la mienne aussi: la première fois que je m’y suis arrêté, j’avais 18 ans et, comme beaucoup de jeunes de ma génération, je partais découvrir l’Ouest sur le pouce.»
Depuis, le professeur du Département de géographie a fait escale dans la petite ville à de multiples reprises, notamment lorsqu’il était responsable de l’Inventaire des traces de la Nouvelle-France. Réalisé entre 2005 et 2009, cet inventaire identifie les lieux de mémoire d’accès public, dont 300 se trouvent hors des limites du Québec.
Plusieurs se trouvent justement le long de la rivière Mattawa, chemin liquide qui a longtemps transporté les autochtones jusqu’à la région du lac Huron, imités ensuite par Étienne Brûlé, Pierre-Esprit Radisson et autres explorateurs. La Mattawa fait d’ailleurs partie du Réseau des rivières du patrimoine canadien et on y trouve 2 parcs provinciaux.
8. Cap-Pelé, Nouveau-Brunswick
De la Foire brayonne, à Edmundston, jusqu’à l’incontournable Village historique acadien de Caraquet, le Nouveau-Brunswick ne manque pas d’atouts pour attirer le touriste en quête de saveurs françaises. Mais à des amis qui partiraient autant entre adultes qu’en famille, Martin Pâquet6, professeur au Département d’histoire, recommande avant tout Cap-Pelé, une petite municipalité de 2200 âmes.
«On y trouve la plage de l’Aboiteau, la plus belle des Maritimes mais qui est souvent déserte, glisse cet ancien résidant de Moncton. Et on y mange les meilleures coques frites de la côte!» Tous les dimanches d’été, des musiciens locaux se produisent sur cette plage. Le quai, où mouille une bonne flotte de bateaux de pêche commerciale, et son marché aux poissons permettent aussi de se gaver du parler acadien. «Et puis, Cap-Pelé est le lieu de naissance de Rhéal Cormier: pour un fan de baseball comme moi, ça compte», ajoute Martin Pâquet en riant.
Pour d’autres possibilités de rencontres sur la côte sud-est, où se trouve Cap-Pelé, la région diffuse un dépliant indiquant les principaux ateliers d’artisans.
9. Chéticamp, Nouvelle-Écosse
On oublie parfois que l’Acadie ne se limite pas au Nouveau-Brunswick. Ailleurs dans les Maritimes et à Terre-Neuve, on peut dénicher des municipalités ou même des régions où le français persiste. Chéticamp, village de pêcheurs du Cap-Breton, fait partie de ces trésors. «Son site est fabuleux: la forêt y rencontre la mer», s’émerveille Cécyle Trépanier, professeure retraitée du Département de géographique.
«Il y a quelques années, je suis allée à la coop d’artisanat, se souvient-elle, et j’ai pu échanger en français avec des femmes qui faisaient encore des tapis hookés.» Fierté acadienne, ces tapis crochetés sont aussi en montre, dans un contexte historique, au centre culturel Les trois pignons. Chaque été ramène par ailleurs à Chéticamp le festival de l’Escaouette avec ses spectacles et causeries. Et comme dans toutes les municipalités francophones de l’Est canadien, on souligne en grande la Journée nationale acadienne, le 15 août.
10. Saint-Pierre-et-Miquelon, France
«En juin 2012, j’ai pris le traversier à Terre-Neuve et, après une heure et demie dans la brume, je suis débarqué en France! L’architecture de l’édifice de la douane, la couleur des maisons, les voitures européennes, les gendarmes: je ne m’attendais pas à ce que Saint-Pierre soit aussi française!» Dean Louder est toujours aussi content de sa virée dans cette «collectivité d’outre-mer», un territoire de la République française au même titre que la Polynésie française ou Saint-Martin. Mais contrairement à ces dernières, l’archipel de Saint-Pierre-et-Miquelon est situé au 46e degré de latitude nord, héritage des activités de pêche et de chasse à la baleine des anciens marins français.
Dean Louder se propose de retourner à Saint-Pierre pour un plus long séjour, et encourage tout francophile à en faire autant. «Il est très facile de lier conversation avec les gens, qu’ils soient de ‘vrais’ Saint-Pierrais ou des fonctionnaires en poste temporaire: là-bas, le rythme de vie est au ralenti et tout le monde a le temps de parler.» Pour qui écouterait son conseil, quelques nuitées du côté de Miquelon permettront aussi de rencontrer des insulaires de souche acadienne. Parmi les préparatifs de voyage, M. Louder suggère une plongée dans le roman L’archipel du Docteur Thomas, de Françoise Enguerhard –née à Saint-Pierre-et-Miquelon et canadienne d’adoption.
6 Martin Pâquet est également titulaire de la Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d’expression française en Amérique du Nord (CEFAN) et a participé à la création récente du certificat en francophone nord-américaine, offert en ligne. ↩
Publié le 11 juin 2013
Publié le 13 juin 2013 | Par Mario Bélanger
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