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Publié le 3 janvier 2013 | Par Colette Brin
Bilan d'une année médiatique mouvementée
La période des Fêtes, moment de réjouissances, de retrouvailles et de repos, c’est aussi l’occasion de faire le point sur l’année qui se termine avant d’en commencer une autre. Je vous propose quelques réflexions à chaud sur l’année médiatique au Québec, recueillies par le journaliste Stéphane Baillargeon, du journal Le Devoir.
Le Devoir – Société, samedi 29 décembre 2012, p. A9
Bilan des médias d’information – Le bruit de l’année, l’année du bruit
«Je termine 2012 avec une migraine permanente», dit Colette Brin, professeure de journalisme à l’Université Laval
Stéphane Baillargeon
Colette Brin, ancienne journaliste de Radio-Canada, enseigne le journalisme et les communications à l’Université Laval depuis plus d’une décennie. Elle s’intéresse aux transformations des pratiques journalistiques, à la diversité des contenus et à la convergence des salles de rédaction, au discours professionnel des journalistes et aux médias émergents. Elle trace maintenant pour Le Devoir son bilan de l’année, où se mêlent des expériences personnelles aux réflexions critiques.
Comment caractérisez-vous l’année 2012 des médias d’information? Quelle tendance lourde vous semble particulièrement significative?
J’ai le goût de dire que la situation a été surréaliste. C’est un peu facile. Je vais donc plutôt répondre que mon impression de 2012, c’est que l’information semble de plus en plus noyée dans le bruit. Le bruit, en théorie de l’information, c’est ce qui empêche de traiter l’information pertinente, comme sur une ligne mécanique quand un bruit de fond brouille l’écoute du message. Une partie de cette impression d’être submergé d’informations dérangeantes vient de mes propres habitudes et pratiques. Ma volonté de suivre et de comprendre fait que je me suis beaucoup plongée dans les médias sociaux cette année. Franchement, je termine 2012 avec une migraine permanente.
Pourquoi?
Quand on essaie de suivre, on finit avec un sentiment de surcharge, de surstimulation. Je suis abonnée à deux quotidiens, un tas de magazines, j’ai la télé et la radio comme tout le monde, mais mon principal fil d’actualité, maintenant, c’est ma page Facebook et mon compte Twitter. C’est comme une drogue dans laquelle je trouve beaucoup de stimulation et beaucoup de frustration. À l’usage, cette drogue se révèle très malsaine parce que l’information n’y est pas hiérarchisée. Elle est présentée sous forme de bruit, même quand on introduit soi-même des filtres de pertinence.
Pouvez-vous donner un exemple récent?
Ça fait deux semaines [N.D.L.R.: l’entrevue a été réalisée le 13 décembre] que j’essaie d’écrire sur la médiatisation des drames familiaux comme celui qui implique le Dr Guy Turcotte. Je n’y arrive pas. Je n’y arrive pas parce que j’ai l’impression que tout ce que j’écrirais ne rajouterait que du bruit au bruit.Pourtant, 2012 a été une année d’une intensité médiatique extraordinaire avec la crise sociale, la commission Charbonneau, les élections. Là encore, les journalistes n’ont-ils que rajouté du vacarme autour de ces événements?
À certains égards, ce fut une année très gratifiante et stimulante, dans le sens positif. La commission Charbonneau par exemple, est en partie la création du travail des journalistes d’enquête et cela doit être souligné. En même temps, la plaie du printemps demeure très vive. Des clivages révélés par les médias et même incarnés dans les médias ne sont pas réglés, par exemple, le clivage générationnel et le clivage géographique, celui des diplômes universitaires et des autres, le clivage des facultés aussi, les sciences sociales contre les autres, etc. Dans les médias, on a souvent télescopé un paquet de problèmes jusqu’à les réduire à un débat gauche-droite caricatural. Or, le fait de refuser le dialogue et de diaboliser l’adversaire me semble extrêmement malsain.
N’est-ce pas surtout le fait des chroniqueurs?
Oui, évidemment et de tous bords. Autant Jean Barbe qu’Éric Duhaime ont produit du contenu en agitant la polarisation gauche-droite caricaturale. Ça ne nous aide pas vraiment à avancer et à réfléchir.
Les médias sociaux relaient aussi des critiques des commentateurs et surveillent le travail des médias. Cette tendance s’est amplifiée cette année. N’est-ce pas un autre aspect positif de l’année média?
Les médias sont confrontés au jugement permanent et souvent péremptoire des citoyens actifs sur les médias sociaux. On l’a vu particulièrement pendant le printemps érable. Il y a des blogues, des comptes, des sites, des médias alternatifs qui ne se gênent pas pour formuler des critiques parfois très fondées, mais aussi pour lancer des rumeurs et des attaques ad hominem, en permanence. Les médias, les journalistes et les chroniqueurs ne sont pas habitués à ça, les chroniqueurs en particulier, qui sont sans cesse contestés. Quelqu’un comme Richard Martineau y a certainement goûté. En même temps, on peut dire qu’il goûte à sa propre médecine. Il y a donc un aspect très positif avec la création d’un espace de sensibilisation et de discussion autour des médias. Il y a aussi un aspect négatif, avec la surproduction, encore une fois, d’énormément de bruit, d’énormément de n’importe quoi en fait, y compris les théories du complot et les insultes.
Comment les journalistes réagissent-ils à cette surabondance bruyante?
Le problème des journalistes, c’est qu’ils sont eux-mêmes noyés dans le bruit et qu’ils ne sont plus en mesure de jouer efficacement leur rôle de filtre. Je sympathise d’ailleurs beaucoup à leur situation très difficile qui les oblige à faire du bruit comme toute la machine.
Alors que faire?
Éric Fottorino, le directeur du Monde jusqu’en décembre 2010, était au Québec récemment. Il a expliqué qu’il souhaitait ramener son journal à l’essentiel, c’est-à-dire un travail classique de traitement de l’information en profondeur, un travail de terrain, rigoureux sans être spectaculaire, un journalisme dans la vérification plutôt que dans l’émotion, qui sortirait du ronron de la bruyante machine. Il a échoué en raison de pressions politiques et économiques, mais aussi de résistance des syndicats. Plusieurs personnes ont conscience que nous avons besoin de changement, mais il semble difficile de le mettre en branle. Je pense qu’il nous faudrait maintenant des journalistes en dehors de la mécanique bruyante pour se connecter sur l’information, mais aussi sur le silence…
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Numéro de document : news·20121229·LE·2012-12-29_367337
Pour en savoir plus sur la pensée d’Éric Fottorino: ce texte paru sur le site du Conseil de presse et cette autobiographie.
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