Mieux s’informer à l'heure du numérique
Publié le 22 février 2012 | Par Colette Brin
Le courage de montrer ce qu’on préfère ne pas voir
Comment rester insensible à la mort de journalistes en Syrie, en Afghanistan, en Libye… Qu’ils tombent sous les bombes, assassinés dans leur demeure ou d’une maladie aggravée par les conditions au front, leur disparition nous rappelle à la fois la brutalité insensée de la guerre et le courage de ceux qui ont choisi de s’en faire les témoins.
Rémi Ochlik, jeune photographe français de 28 ans, vient d’être tué en Syrie, tout comme sa collègue américaine Marie Colvin. En 2004, à 20 ans, il avait choisi de partir en Haïti dans l’indifférence générale, lors de la chute du président Aristide. Il été aux premières loges du printemps arabe en 2011, en Tunisie, en Égypte et en Libye. Il a remporté plusieurs prix d’excellence pour son travail.
Certains de nos étudiants et jeunes diplômés, face à un avenir professionnel incertain et un monde d’une dureté révoltante, font le même choix d’un métier qui, à défaut d’être payant, s’inscrit dans une quête de sens, un goût d’aller voir ailleurs, de mieux comprendre ce monde de plus en plus petit.
On dira qu’ils sont téméraires, naïfs, idéalistes. Mais ce sont des humains comme les autres. Morts aussi à Homs en Syrie, Gilles Jacquier (janvier 2012) et Anthony Shadid (février 2012), tous deux âgés de 43 ans et pères de famille. Anne Nivat, récemment expulsée de Russie pour son travail de terrain à la fois très humain, lucide et surtout critique, est une jeune mère aussi.
Le Committee to Protect Journalists recense déjà, en 2012, 6 morts de journalistes dans l’exercice de leurs fonctions et 5 dont la cause est à confirmer. Ochlik, Colvin et Shadid s’ajoutent à ce nombre. Toujours selon le CPJ, 899 journalistes auraient été tués depuis 1992.
Et ceux qui survivent subissent souvent des séquelles psychologiques, comme en témoignent les participants à un documentaire récemment diffusé à la CBC, Under Fire: Journalists in Combat. En voici la bande-annonce:
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Un métier de risque et de sacrifice
Pourquoi un ou une jeune de 20 ans choisirait ce métier? Les étudiants en journalisme, comme la plupart d’entre nous, aspirent à une vie tranquille, une maison, une famille, un travail stable et bien payé, des loisirs… tout cela est difficile à concilier avec les risques et les sacrifices qu’implique le journalisme de guerre.
Déjà que les perspectives d’emploi sont incertaines, s’il faut en plus risquer sa vie, le plus souvent sans couverture d’assurance par l’employeur –car la pige est de plus en plus la norme– il faut être un peu fou pour choisir cette voie.
Par ailleurs, la firme de monitoring médiatique Influence communication signale que la place de l’information internationale dans les médias a baissé au Québec en 2011. La guerre et les crises humanitaires –car c’est essentiellement ce qu’on nous montre de l’actualité internationale– c’est bien moins divertissant, bien moins agréable, bien plus difficile à consommer que le showbiz, la bouffe, la téléréalité et le sport qui occupent tant de place dans les médias et notre esprit. Voilà un autre risque que les médias sont rarement prêts à assumer.
Le courage d’informer, c’est aussi et surtout celui de nous confronter à notre indifférence. De nous mettre face à nos propres hypocrisies, à notre lâcheté, à notre tendance naturelle à détourner le regard de l’horreur et à nous dire que tout cela est bien loin, que cela ne nous concerne pas. Ces gens mettent leur vie en péril pour nous dire que, oui, cela nous concerne.
Le journaliste Stéphane Baillargeon nous rappelle que le travail des médias, c’est aussi d’examiner les activités de certaines entreprises québécoises dans ces pays en guerre, ce qui se fait trop rarement.
En plus du courage de nous montrer le drame des Syriens, des Libyens, des Afghans, des Indiens, il y a aussi celui de surveiller les dirigeants et les puissants, ceux d’ici et d’ailleurs. De se tenir droit face aux tentatives d’intimidation, à l’obscurantisme, au cynisme.
Des témoins qui dérangent
Car quand les journalistes dérangent trop, ils deviennent des cibles. Il semble bien que ce soit le cas en Syrie. Plus près de nous, les journalistes sont aussi soumis à des pressions ou des embûches parfois inquiétantes, même si leur vie n’est pas en danger. Au cours des derniers jours, on a appris que:
- Le gouvernement du Québec enquêtera sur les fuites au Service de police de la Ville de Montréal dans la foulée du suicide d’une présumée taupe. Une lettre ouverte de la Ligue des droits et libertés rappelle pourquoi la protection des sources des journalistes est essentielle en démocratie, pour la liberté d’informer mais aussi d’être informés.
- Une entreprise appartenant à l’homme d’affaires Tony Accurso, Construction Louisbourg, a intenté un procès à l’émission Enquête, de Radio-Canada, pour outrage au tribunal. Le plaignant demande que le journaliste Alain Gravel révèle l’identité d’une source qui lui aurait fourni des documents confidentiels.
- De nouvelles pratiques de communication limitent l’accès des journalistes aux chercheurs à l’emploi du gouvernement fédéral, même si leurs travaux sont publiés. Certaines de ces recherches sont liées aux changements climatiques ou plus généralement à des thématiques environnementales, un sujet sensible pour le gouvernement conservateur.
On s’attend des journalistes qu’ils soient rigoureux, clairvoyants, intègres, alors que les soupçons de corruption et de pratiques douteuses sur le plan éthique dans les milieux qu’ils couvrent se multiplient. On ne les paie pas cher et ils occupent souvent des postes à statut précaire. La plupart d’entre eux ne recherchent pas la gloire, ni même l’argent d’ailleurs. On ne leur fait pas de parades, on ne porte ni rubans ni coquelicots en leur honneur, ils n’en demandent pas tant. Envers et contre tout, ils continuent à faire confiance à l’intelligence et à la curiosité du public, à sa capacité d’espérer, de vouloir, de construire un monde meilleur. La moindre des choses serait de prêter attention à ce qu’ils ont le courage de nous montrer.
Le Sunday Times, où travaillait Marie Colvin, morte à Homs le 22 février, propose en guise d’hommage qu’on lise son dernier article.
Le dernier texte d’Anthony Shadid.
Les photos de Rémi Ochlik.
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Publié le 1 mars 2012 | Par Alain Gaudreau
M. Charest affirmait que le système québécois est celui qui coûte le moins cher au Canada par tête de pipe !!!!
Je m'attendais que Mme Emmanuelle pose l'autre question: «Se pourrait-il que les Québécois aient moins de services et que c'est pour cela que ça coûte moins cher?» Même pas.
Le journaliste qui pousse la carte au risque de sa carrière ici, c'est aussi admirable.
Alain Gravel, depuis la crise d'Oka en 1990, est un des rares journalistes que je considère motivé par la recherche de la vérité versus sa carrière.
Comble d'ironie, au lieu d'enquêter sur l'information obtenue dans la collusion dans la construction, on enquête sur la source. Au Québec, on tire sur le messager au lieu d'écouter le message! Quelle farce monumentale!
Publié le 1 mars 2012 | Par SB
Publié le 22 février 2012 | Par Colette Brin
Publié le 22 février 2012 | Par Étienne Ferron-Forget
Conjointe d'un reporter de guerre, l'auteure et journaliste se pose plusieurs fois la question: pourquoi partir au risque de sa vie? Elle interroge plusieurs journalistes qui ont traité de conflits étrangers, Anne Nivat entre autres.
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