Un chercheur sur la banquise
Louis Fortier est fasciné depuis l'enfance par le monde des glaces. Un monde aujourd'hui en plein bouleversement.
Par Gilles Drouin
Né quelques siècles plus tôt, Louis Fortier aurait sans doute été un de ces magnifiques savants éclectiques qui touchaient à toutes les disciplines, tentant sans relâche d’étancher leur soif de découvrir et comprendre le monde dans sa totalité.
Des sciences, Louis Fortier en mange depuis qu’il est haut comme trois pommes. «Dès le primaire, j’aimais beaucoup tout ce qui était mécanique. La biologie et les animaux me fascinaient aussi.» De la petite à la grande école (il a obtenu son baccalauréat et sa maîtrise à l’Université Laval, son doctorat à McGill), il touche à tout, même à l’actuariat et au génie informatique. Puis, c’est le coup de foudre pour l’océanographie, un champ de recherche qui répond bien à ses attentes variées. «J’étais heureux comme un poisson dans l’eau.»
Louis Fortier regarde le monde à travers un objectif grand angle, ce qui ne l’empêche pas –science d’aujourd’hui oblige!– de faire le zoom sur une spécialité: la dynamique des stades larvaires de poisson. Sa spécialité l’a amené à faire, entre autres, des recherches sur la morue Atlantique et sur plusieurs autres espèces. «Mais je garde toujours un intérêt pour tout ce qui tourne autour de ma discipline, dont la paléontologie et l’archéologie. Je ne me suis jamais concentré au point de ne plus rien voir d’autre que ma spécialité.»
Tout semble «chouette», dans la vie de ce chercheur à l’aube de la cinquantaine, que l’émission Les années-lumière de Radio-Canada a couronné Scientifique de l’année 2004. Chouette, un qualificatif que Louis Fortier affectionne et qui décrit d’abord le plaisir de faire de la recherche, perdu dans l’immensité arctique. «Travailler sur la banquise, c’est très chouette. Le milieu est très exotique: il faut aller sur Mars pour trouver un paysage aussi fascinant! C’est vraiment l’aventure.»
Les milieux extrêmes l’attirent depuis son enfance. «J’ai grandi près du fleuve. L’hiver, nous marchions sur la banquise, au grand désespoir de ma mère qui aurait préféré nous voir loin des glaces instables. J’étais fasciné par ce monde un peu étrange.»
Chouette décrit aussi son plaisir de travailler avec des collègues de partout dans le monde et aussi avec ses collègues étudiants. M. Fortier est heureux et fier de voir ces derniers s’intégrer parfaitement dans un réseau international de recherche. «Je me rappelle mes premiers congrès internationaux. Je rasais les murs. Eux, ils sont très à l’aise parce qu’ils connaissent déjà beaucoup de monde sur la planète.»
Une aventure internationale
Son statut d’océanographe respecté, son intérêt pour un grand nombre de disciplines ainsi que son fort penchant pour la convivialité font de Louis Fortier un rassembleur tout désigné. Il ne faut donc pas se surprendre de le trouver à la tête de Québec-Océan, un groupe interuniversitaire de chercheurs québécois en océanographie (autrefois connu sous le nom de GIROQ).
Il est aussi chef de mission de la Canadian Arctic Shelf Exchange Study (CASES), sans doute l’une des missions scientifiques les plus importantes dans l’histoire du Canada. Chargé d’étudier les effets des changements climatiques dans l’Arctique, ce programme de recherche amorcé en 2002 s’étendra au moins jusqu’en 2007. Le Conseil de recherche en sciences naturelles et en génie du Canada y injecte une dizaine de millions de dollars. En prime: l’Amundsen, un brise-glace transformé en navire scientifique grâce aux 27,7 millions$ de la Fondation canadienne pour l’innovation; équipage compris, gracieuseté de Pêches et Océans Canada.
Habituellement, dans les expéditions du même genre, chaque équipe nationale réalise son propre projet de recherche, selon un horaire rigide établi au moins deux ans à l’avance. Mais l’aventure de l’Amundsen est unique à bien des égards. D’abord, l’équipage fourni par la Garde côtière canadienne est très souple. «Ils adaptent rapidement le plan de mission selon les besoins de la recherche, ce qui est très rarement le cas ailleurs.» Ensuite, avec CASES, on voit souvent un Canadien qui travaille avec un Polonais, un Russe, un Japonais et un Espagnol sur un projet donné.
Ce mélange des expertises nationales au sein d’une même équipe est très fertile. «Par exemple, les Espagnols nous ont montré une technique microscopique inédite, qui permet d’observer des microorganismes planctoniques extrêmement fragiles. Cela nous a révélé certains aspects de ces êtres étranges que nous n’avions jamais vus.»
Il en résulte un effort de recherche où la compétition entre les nationalités est plus visible autour d’un ballon sur la banquise que dans les laboratoires. «Il existe une vraie collaboration internationale, un peu obligatoire parce qu’il y a peu de navires pour la recherche. Mais je pense aussi qu’il s’agit de la façon la plus efficace de faire de la recherche.»
Mauvaises nouvelles du Nord
Louis Fortier est particulièrement en demande depuis qu’il est revenu de l’Arctique, porteur de nouvelles pires que prévu. Les résultats préliminaires obtenus par la mission CASES n’ont rien pour rassurer. «Jusqu’à maintenant les observations sur le terrain sont en avance sur les modèles qui tentent de prévoir les effets des changements climatiques. En fait, ce sont les simulations les plus pessimistes qui semblent se confirmer. La banquise rétrécit plus vite, les glaciers fondent plus vite, les populations animales sont affectées plus vite.»
Le constat devrait convaincre bien des sceptiques, car Louis Fortier n’a rien d’un Pierre et le loup. «Il n’y aura pas de cataclysme comme on en voit dans le film The Day After Tomorrow, remarque-t-il. Mais il y aura assurément des changements. Ils seront progressifs et on peut affirmer que, dans 250 ans, la planète ne se ressemblera plus du tout.» Oui, la Terre a connu des changements climatiques très importants dans sa longue histoire mais, pour la première fois, de tels bouleversements vont se produire alors qu’elle est peuplée par une civilisation humaine.
Si les débuts de la recherche dans le Nord étaient motivés par la seule volonté d’en apprendre un peu plus sur un milieu très mal connu, il y a maintenant urgence d’obtenir le tableau le plus précis possible de la situation actuelle afin de bien suivre l’évolution de l’Arctique au cours des prochaines années. Sans ce portrait, il sera impossible de savoir si les simulations sont valables et donc, très difficile de prendre les mesures qui s’imposent.
Il y a aussi urgence de comprendre les effets des changements climatiques sur les collectivités humaines. Afin de mieux cerner cet aspect, et alors même que CASES se poursuit, l’équipe de Louis Fortier vient de mettre sur pied le Réseau d’excellence Arcticnet, qui réunit des spécialistes arctiques des sciences naturelles, des sciences de la santé et des sciences sociales.
«Le cataclysme serait de ne pas nous préparer, martèle Louis Fortier sur toutes les tribunes. Nous avons les moyens techniques et scientifiques d’entrevoir ce qui peut se passer et de dire aux décideurs comment s’organiser.» Le Nord constitue un laboratoire intéressant pour mettre au point des stratégies sociales, économiques et politiques qui permettront à l’humanité de s’adapter aux changements qui s’en viennent. «Si nous réussissons à prendre le virage dans l’Arctique, nous serons mieux placés pour le prendre ailleurs sur la planète, au Canada, au Québec ou au Bengladesh.»
Ce n’est pas la fin du monde, mais nous ne nous en tirerons pas totalement indemnes. Il y aura probablement des perdants. «Je crains que des espèces, comme l’ours polaire, ne se trouvent plus que dans les zoos.»
D’ici là, Louis Fortier aura de nouvelles occasions de répondre à l’appel de ce monde de glace, gardant peut-être l’espoir secret que de nombreuses générations à venir pourront contempler ce spectacle singulier, objet de sa constante fascination. Il vous dira sans doute que ce serait chouette!
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Des sciences, Louis Fortier en mange depuis qu’il est haut comme trois pommes. «Dès le primaire, j’aimais beaucoup tout ce qui était mécanique. La biologie et les animaux me fascinaient aussi.» De la petite à la grande école (il a obtenu son baccalauréat et sa maîtrise à l’Université Laval, son doctorat à McGill), il touche à tout, même à l’actuariat et au génie informatique. Puis, c’est le coup de foudre pour l’océanographie, un champ de recherche qui répond bien à ses attentes variées. «J’étais heureux comme un poisson dans l’eau.»
Louis Fortier regarde le monde à travers un objectif grand angle, ce qui ne l’empêche pas –science d’aujourd’hui oblige!– de faire le zoom sur une spécialité: la dynamique des stades larvaires de poisson. Sa spécialité l’a amené à faire, entre autres, des recherches sur la morue Atlantique et sur plusieurs autres espèces. «Mais je garde toujours un intérêt pour tout ce qui tourne autour de ma discipline, dont la paléontologie et l’archéologie. Je ne me suis jamais concentré au point de ne plus rien voir d’autre que ma spécialité.»
Tout semble «chouette», dans la vie de ce chercheur à l’aube de la cinquantaine, que l’émission Les années-lumière de Radio-Canada a couronné Scientifique de l’année 2004. Chouette, un qualificatif que Louis Fortier affectionne et qui décrit d’abord le plaisir de faire de la recherche, perdu dans l’immensité arctique. «Travailler sur la banquise, c’est très chouette. Le milieu est très exotique: il faut aller sur Mars pour trouver un paysage aussi fascinant! C’est vraiment l’aventure.»
Les milieux extrêmes l’attirent depuis son enfance. «J’ai grandi près du fleuve. L’hiver, nous marchions sur la banquise, au grand désespoir de ma mère qui aurait préféré nous voir loin des glaces instables. J’étais fasciné par ce monde un peu étrange.»
Chouette décrit aussi son plaisir de travailler avec des collègues de partout dans le monde et aussi avec ses collègues étudiants. M. Fortier est heureux et fier de voir ces derniers s’intégrer parfaitement dans un réseau international de recherche. «Je me rappelle mes premiers congrès internationaux. Je rasais les murs. Eux, ils sont très à l’aise parce qu’ils connaissent déjà beaucoup de monde sur la planète.»
Une aventure internationale
Son statut d’océanographe respecté, son intérêt pour un grand nombre de disciplines ainsi que son fort penchant pour la convivialité font de Louis Fortier un rassembleur tout désigné. Il ne faut donc pas se surprendre de le trouver à la tête de Québec-Océan, un groupe interuniversitaire de chercheurs québécois en océanographie (autrefois connu sous le nom de GIROQ).
Il est aussi chef de mission de la Canadian Arctic Shelf Exchange Study (CASES), sans doute l’une des missions scientifiques les plus importantes dans l’histoire du Canada. Chargé d’étudier les effets des changements climatiques dans l’Arctique, ce programme de recherche amorcé en 2002 s’étendra au moins jusqu’en 2007. Le Conseil de recherche en sciences naturelles et en génie du Canada y injecte une dizaine de millions de dollars. En prime: l’Amundsen, un brise-glace transformé en navire scientifique grâce aux 27,7 millions$ de la Fondation canadienne pour l’innovation; équipage compris, gracieuseté de Pêches et Océans Canada.
Habituellement, dans les expéditions du même genre, chaque équipe nationale réalise son propre projet de recherche, selon un horaire rigide établi au moins deux ans à l’avance. Mais l’aventure de l’Amundsen est unique à bien des égards. D’abord, l’équipage fourni par la Garde côtière canadienne est très souple. «Ils adaptent rapidement le plan de mission selon les besoins de la recherche, ce qui est très rarement le cas ailleurs.» Ensuite, avec CASES, on voit souvent un Canadien qui travaille avec un Polonais, un Russe, un Japonais et un Espagnol sur un projet donné.
Ce mélange des expertises nationales au sein d’une même équipe est très fertile. «Par exemple, les Espagnols nous ont montré une technique microscopique inédite, qui permet d’observer des microorganismes planctoniques extrêmement fragiles. Cela nous a révélé certains aspects de ces êtres étranges que nous n’avions jamais vus.»
Il en résulte un effort de recherche où la compétition entre les nationalités est plus visible autour d’un ballon sur la banquise que dans les laboratoires. «Il existe une vraie collaboration internationale, un peu obligatoire parce qu’il y a peu de navires pour la recherche. Mais je pense aussi qu’il s’agit de la façon la plus efficace de faire de la recherche.»
Mauvaises nouvelles du Nord
Louis Fortier est particulièrement en demande depuis qu’il est revenu de l’Arctique, porteur de nouvelles pires que prévu. Les résultats préliminaires obtenus par la mission CASES n’ont rien pour rassurer. «Jusqu’à maintenant les observations sur le terrain sont en avance sur les modèles qui tentent de prévoir les effets des changements climatiques. En fait, ce sont les simulations les plus pessimistes qui semblent se confirmer. La banquise rétrécit plus vite, les glaciers fondent plus vite, les populations animales sont affectées plus vite.»
Le constat devrait convaincre bien des sceptiques, car Louis Fortier n’a rien d’un Pierre et le loup. «Il n’y aura pas de cataclysme comme on en voit dans le film The Day After Tomorrow, remarque-t-il. Mais il y aura assurément des changements. Ils seront progressifs et on peut affirmer que, dans 250 ans, la planète ne se ressemblera plus du tout.» Oui, la Terre a connu des changements climatiques très importants dans sa longue histoire mais, pour la première fois, de tels bouleversements vont se produire alors qu’elle est peuplée par une civilisation humaine.
Si les débuts de la recherche dans le Nord étaient motivés par la seule volonté d’en apprendre un peu plus sur un milieu très mal connu, il y a maintenant urgence d’obtenir le tableau le plus précis possible de la situation actuelle afin de bien suivre l’évolution de l’Arctique au cours des prochaines années. Sans ce portrait, il sera impossible de savoir si les simulations sont valables et donc, très difficile de prendre les mesures qui s’imposent.
Il y a aussi urgence de comprendre les effets des changements climatiques sur les collectivités humaines. Afin de mieux cerner cet aspect, et alors même que CASES se poursuit, l’équipe de Louis Fortier vient de mettre sur pied le Réseau d’excellence Arcticnet, qui réunit des spécialistes arctiques des sciences naturelles, des sciences de la santé et des sciences sociales.
«Le cataclysme serait de ne pas nous préparer, martèle Louis Fortier sur toutes les tribunes. Nous avons les moyens techniques et scientifiques d’entrevoir ce qui peut se passer et de dire aux décideurs comment s’organiser.» Le Nord constitue un laboratoire intéressant pour mettre au point des stratégies sociales, économiques et politiques qui permettront à l’humanité de s’adapter aux changements qui s’en viennent. «Si nous réussissons à prendre le virage dans l’Arctique, nous serons mieux placés pour le prendre ailleurs sur la planète, au Canada, au Québec ou au Bengladesh.»
Ce n’est pas la fin du monde, mais nous ne nous en tirerons pas totalement indemnes. Il y aura probablement des perdants. «Je crains que des espèces, comme l’ours polaire, ne se trouvent plus que dans les zoos.»
D’ici là, Louis Fortier aura de nouvelles occasions de répondre à l’appel de ce monde de glace, gardant peut-être l’espoir secret que de nombreuses générations à venir pourront contempler ce spectacle singulier, objet de sa constante fascination. Il vous dira sans doute que ce serait chouette!
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