Le Soleil, une étoile comme les autres
La boule de feu autour de laquelle tourne la Terre n'a pas encore fini de livrer ses secrets... mais peu s'en faut!
Propos recueillis par Serge Beaucher
Professeur au Département de physique, de génie physique et d’optique, l’astrophysicien Laurent Drissen1 est un spécialiste des étoiles massives. Il travaille aussi sur le développement d’instruments d’imagerie hyperspectrale. Découvreur d’une étoile très rare avec deux collègues, en 1996, ainsi que d’une supernova la même année, il est également un ancien chroniqueur de l’émission radiophonique Les années lumière, à Radio-Canada, et auteur du livre qu’il en a tiré en 2011, Chroniques des années-lumière. Bien que le Soleil ne soit pas son domaine précis de recherche, M. Drissen nous en trace un portrait… éblouissant.
Parlez-nous un peu de l’astre qu’est le Soleil.
Le Soleil est une étoile tout ce qu’il y a de plus ordinaire, parmi quelque 200 milliards d’autres étoiles dans sa galaxie, la Voie lactée. Situé un peu en périphérie de cette galaxie, il a une masse environ 10 fois plus grande que les étoiles les moins massives, mais 100 fois moins que les plus massives. Cela le classe parmi les étoiles de faible masse, qui sont les plus nombreuses. Son diamètre atteint près de 1,4 million de kilomètres, soit 110 fois celui de la Terre.
Et sa température?
Un thermomètre placé sur la surface de la sphère indiquerait autour de 5800 kelvins, 273 de moins si vous mesurez en degrés Celsius. C’est très chaud, mais ce n’est rien comparé à la température du noyau solaire: 15,7 millions de degrés! Une chaleur suffisante pour générer des réactions nucléaires au cœur de l’étoile. Étrangement, la couronne du Soleil, au-dessus de la surface (le halo qu’on voit lors d’une éclipse), est également très chaude. Des millions de degrés là aussi, mais dans un milieu beaucoup moins dense, qui ne permet pas de réactions nucléaires. On ne s’explique pas encore de façon certaine les raisons d’une telle température à l’extérieur de l’étoile.
1 Laurent Drissen est également membre du Centre de recherche en astrophysique du Québec (CRAQ), du Groupe de recherche en astrophysique (GRAUL) et de l’Institut Technologies de l’information et Sociétés (ITIS). ↩
Le Soleil a déjà une longue histoire…
Oui, une histoire de 4,57 milliards d’années, qui se poursuivra encore aussi longtemps. Au départ, toute la matière de ce qui allait devenir le Soleil se trouvait dans un nuage moléculaire composé principalement d’hydrogène. Avec le temps, ce nuage s’est contracté sous la force de sa propre gravité, augmentant ainsi sa température interne jusqu’à déclencher une réaction thermonucléaire qui transforme les atomes d’hydrogène en hélium.
Lorsque le Soleil a commencé à brûler son hydrogène, il a atteint ce qu’on appelle sa séquence principale et est véritablement devenu une étoile. Il était alors plus volumineux qu’aujourd’hui et a continué de se contracter pendant un temps. Ce n’est qu’une fois l’activité nucléaire bien établie en son cœur, après quelques millions d’années, qu’il s’est stabilisé. Depuis, le moindre écart est corrigé par un jeu d’équilibre entre la pression des gaz vers l’extérieur et la force gravitationnelle vers l’intérieur.
Mais il n’est plus tout à fait le même?
En fait, depuis le début, le noyau du Soleil se modifie. D’abord sa composition chimique: la quantité d’hydrogène diminue, tandis que celle d’hélium augmente. Sa densité change également. Comme la quantité de lumière émise dépend beaucoup de la densité de ce milieu en fusion, le Soleil est aujourd’hui environ 30% plus brillant qu’au début de sa séquence principale.
Qu’arrivera-t-il ensuite?
Dans plus ou moins 4 milliards d’années, l’étoile aura brûlé tout son hydrogène. Puisque l’hélium nécessite une température plus élevée pour entrer en réaction nucléaire (quelque 300 millions de degrés), faute de carburant, les réactions diminueront progressivement, ce qui réduira la pression des gaz vers l’extérieur et augmentera donc l’effet gravitationnel. Résultat: en s’effondrant, le noyau se contractera de nouveau, ce qui en accroîtra la température jusqu’à «allumer» l’hélium à son tour.
Et que se passera-t-il quand l’hélium entrera en fusion?
Principalement deux choses. D’une part, le Soleil gonflera pour devenir une géante rouge qui englobera complètement son système planétaire.
À la longue, l’enveloppe de cette étoile en expansion finira par se détacher complètement de la partie centrale pour devenir une nébuleuse planétaire, un nuage de gaz flottant dans l’espace.
D’autre part, dans le cœur du Soleil, les atomes d’hélium vont se fusionner par trois pour se transformer en carbone, puis une partie du carbone et de l’hélium restant, en se combinant, va produire de l’oxygène. Tout cela, pendant quelques centaines de millions d’années.
Dans une étoile massive, la gravité continuerait de contracter le noyau, ce qui provoquerait une nouvelle augmentation de température et générerait d’autres cycles de réactions nucléaires produisant des éléments de plus en plus lourds, jusqu’au fer et autres métaux. Mais la masse du Soleil n’est pas suffisante pour faire cela. Le carbone et l’oxygène vont donc se cristalliser, et le cœur de l’étoile deviendra une naine blanche, avec peut-être 50% de la masse actuelle du Soleil, et demeurera naine blanche pratiquement ad vitam æternam.
Revenons au XXIe siècle. Que sont ces vents solaires qui viennent parfois perturber les réseaux électriques terrestres?
Périodiquement, de formidables explosions à la surface du Soleil éjectent des quantités massives de plasma (gaz et particules d’hydrogène et d’hélium) qui, en s’échappant de l’attraction solaire à 1000 km/seconde, se disséminent dans le système planétaire. Émis à partir des taches sombres qui se forment sur le Soleil –moins chaudes mais plus actives magnétiquement–, ces flots de plasma sont normalement bloqués par le champ magnétique de la Terre. Mais ils réussissent parfois à pénétrer dans la haute atmosphère par les pôles et, en ionisant les molécules d’oxygène et d’azote qui s’y trouvent, donnent naissance à de magnifiques aurores boréales (ou australes, dans l’hémisphère sud).
Quand le plasma éjecté est particulièrement dense, le champ magnétique terrestre peut être troublé et provoquer des pannes de courant d’envergure, comme cela s’est produit au Québec en 1989. Cette activité solaire associée à l’apparition des taches suit des cycles de 11 ans. Présentement, le Soleil n’est pas dans une phase très active. Soit dit en passant, ces courtes périodes cycliques d’activité solaire n’ont aucun effet sur le climat de notre planète et n’ont donc rien à voir avec les changements climatiques actuels.
Outre les pannes de courant, ces vents solaires peuvent-ils être dangereux pour nous?
Théoriquement, puisqu’ils constituent une partie de ce qu’on appelle les rayons cosmiques, ils pourraient jouer un rôle dans certaines mutations génétiques. C’est pour cela que les astronautes se blindent contre ces rayons quand ils sont dans l’espace, puisque le bouclier magnétique terrestre ne les protège plus. C’est d’ailleurs l’un des aspects les plus problématiques d’une éventuelle mission humaine sur Mars.
En même temps, le vent solaire assure notre protection en déviant les rayons cosmiques souvent plus denses et plus dangereux provenant d’autres étoiles. C’est donc dire que lorsque l’activité solaire est faible, davantage de rayons cosmiques potentiellement mutagènes nous parviennent.
Nous reste-t-il encore beaucoup de choses à apprendre sur le Soleil?
En science, quand on croit avoir fait le tour d’une question, quelqu’un arrive toujours avec du nouveau. Nous en connaissons un bon bout sur notre étoile, mais il y a encore des zones d’ombre. Notamment sur l’origine du cycle solaire: il n’y pas de réponse définitive là-dessus. Ou bien sur la composition chimique exacte du Soleil: on sait que l’hydrogène et l’hélium représentent actuellement 71% et 27% de sa masse, mais tout le monde ne s’entend pas sur la proportion des éléments (carbone, azote et oxygène) qui forment les 2% restants. C’est un problème majeur, car il nous faut la composition chimique la plus exacte possible pour estimer, par exemple, la densité et la température du cœur du Soleil. Des observations récentes nous permettent de croire que la réalité est peut-être très différente de ce que nous pensions auparavant.
Le Soleil n’est pas votre domaine de recherche; sur quoi travaillez-vous principalement?
J’ai deux axes de recherche: les étoiles massives et la conception-construction d’instruments. Ces derniers temps, avec mon équipe, j’ai été très occupé par la construction d’un instrument destiné au Télescope Canada-France-Hawaii. Il s’agit d’une version améliorée de l’appareil qu’un étudiant de 3e cycle de l’équipe a conçu pour l’Observatoire du Mont-Mégantic: le spectro-imageur à transformée de Fourier. Baptisé Sitelle, notre nouveau spectromètre permet d’obtenir à la fois des images et des spectres des objets observés. Ce genre d’appareil est le premier sur la planète à travailler dans une longueur d’onde comprise entre 350 et 850 nanomètres.
L’étoile rare que vous avez découverte dans une galaxie relativement proche, en 1996, est-elle encore visible?
Oui, mais son intensité lumineuse a passablement diminué depuis que nous l’avons vue la première fois. C’était prévu, puisqu’il s’agit d’une étoile variable.
Est-ce que la découverte de cette étoile et celle de deux supernovae vous ont rendu célèbre?
D’abord, je dois dire que je n’ai découvert, officiellement, qu’une seule supernova –une étoile en explosion. Pour l’autre, j’ai été battu d’une heure par un robot.
Quant à la découverte de l’étoile rare, la lumineuse bleue variable NGC 2363-V1, elle ne m’a pas rendu célèbre. Mais heureux, ça oui!
Publié le 30 avril 2015
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