Bronzer, mais à quel prix?
Profiter du soleil implique quelques mesures de protection pour la peau et pour les yeux.
Par Nathalie Kinnard
Être bronzé, c’est encore in. Depuis les années 1950, le bronzage est devenu synonyme de beauté, de santé et de réussite sociale. Tout le contraire du 19e siècle alors qu’on vénérait le teint pâle distinguant les riches citadins des paysans «brûlés» par leur travail dans les champs. Et pourtant, nos ancêtres avaient, sans le savoir, des critères esthétiques qui protégeaient les privilégiés d’un vieillissement cutané et oculaire prématuré et de cancers de la peau. Car si une peau bronzée passe aujourd’hui pour une marque extérieure de bonne santé, la réalité est bien différente sous la surface. Les dermatologues et autres spécialistes de la peau sont formels: le soleil est dangereux! Pour bien en jouir, mieux vaut se protéger de ses rayons.
Le bronzage sécuritaire n’existe pas
Pas besoin de passer la journée à se faire «dorer la couenne» pour tirer le meilleur du soleil. Quelques minutes suffisent pour synthétiser la vitamine D, nécessaire pour fixer le calcium sur les os et pour protéger des différents cancers. «Les gens en santé sont en fait les moins bronzés, soutient le dermatologue Joël Claveau1, professeur de clinique à la Faculté de médecine. Il n’y a pas de bronzage sécuritaire, car pour bronzer, il faut que les rayons ultraviolets (UV) du soleil modifient la structure de l’ADN cutané.»
Les rayons ultraviolets sont insidieux, car on ne les voit pas. Les UV de type B causent les coups de soleil: ils endommagent l’ADN et favorisent, avec le temps, le vieillissement prématuré de la peau (photovieillissement) et les lésions cancéreuses. Mais les chercheurs ont aussi découvert que les dommages commencent bien avant les coups de soleil. Les UV de type A, quoique ne brûlant pas la peau en surface, pénètrent plus en profondeur que les UVB pour y faire des dégâts au niveau du collagène et de l’élastine qui donnent au derme sa structure et sa fermeté. Ils produisent des radicaux libres –des molécules d’oxygène instables– à l’origine du photovieillisement, de l’apparition précoce des rides et du cancer de la peau.
Le bronzage est une réaction de défense de l’organisme. En effet, certaines cellules de la peau, les mélanocytes, réagissent aux rayons UVB en fabriquant une substance colorée appelée mélanine. Ce pigment absorbe une partie du rayonnement et protège partiellement la peau des effets nocifs du soleil.
Non seulement la protection que procure la mélanine est-elle imparfaite, mais sa production même entraîne certains dommages, rapporte le biochimiste Girish Shah2, professeur au Département de biologie moléculaire, biochimie médicale et pathologie: «Une équipe de recherche internationale vient de démontrer que la mélanine a un effet pervers. Elle réagit avec les radicaux libres générés par les rayons UV. Son oxydation produit de l’énergie qui altère l’ADN et provoque des dommages à l’origine du cancer de la peau. Et cet effet perdurerait plusieurs heures après l’exposition au soleil».
Le corps humain a encore d’autres réactions face aux agressions des rayons ultraviolets: il sacrifie certaines structures. C’est le cas des télomères, les extrémités des chromosomes, qui préservent l’intégrité du génome. Ces boucliers parent plutôt bien les coups portés par les rayons UV. Mais ils ne se protègent pas eux-mêmes: ils accumulent les dommages solaires. «Ils deviennent la mémoire cellulaire de notre exposition au soleil, explique Patrick Rochette3, professeur au Département d’ophtalmologie et ORL – chirurgie cervico-faciale. Bien qu’on n’en cerne pas encore toutes les conséquences, on pense que les dégâts aux télomères viennent accélérer le processus de vieillissement de la peau.»
1 Joël Claveau est également coresponsable de la recherche clinique en hémato-oncologie à la Clinique du mélanome et des cancers cutanés de l’Hôtel-Dieu de Québec. ↩
2 Girish Shah est aussi membre du Centre de recherche du CHU de Québec. ↩
3 Patrick Rochette est également chercheur en biochimie et biologie moléculaire au Centre de recherche du CHU de Québec et membre du Centre de recherche en organogénèse expérimentale de l’Université Laval (LOEX). ↩
Perdre sa peau
S’exposer sans protection au soleil est le facteur de risque principal du cancer de la peau. Au Canada, il y a eu 76 750 diagnostics de ce cancer en 2014, dont 6500 étaient de nouveaux cas de mélanomes. La même année, on a enregistré 1050 décès attribuables à ces petites tumeurs malignes et 440 aux autres formes de cancer de la peau (principalement les carcinomes). L’incidence du mélanome et le taux de mortalité dû à cette maladie augmentent chaque année, si bien que le cancer de la peau est devenu un véritable problème de santé publique.
Le mélanome prend naissance dans les mélanocytes, ces cellules qui font bronzer. Il se manifeste d’abord par une lésion pigmentée difforme qui peut ensuite s’étendre localement et se propager rapidement à des organes éloignés. «Il est le lot des adeptes de courts séjours dans le Sud, bref d’une exposition intermittente mais intense au soleil», explique le dermatologue Joël Claveau.
Si le mélanome ne compte que pour 5% des cancers cutanés, il représente la majorité des décès. En effet, lorsqu’il n’est pas traité à temps, il rejoint le système sanguin ou lymphatique, et le cancer se propage à d’autres organes. On dit alors qu’il y a métastase. «Les métastases expliquent 90% des décès liés au cancer en général, révèle Stéphane Gobeil4, professeur au Département de médecine moléculaire. Dans le cas du mélanome, les cellules cancéreuses migrent notamment vers les poumons.»
Le chercheur a voulu savoir si l’organisme avait des gènes suppresseurs de métastases, au même titre qu’il possède des gènes suppresseurs de tumeurs. Avec son équipe, Stéphane Gobeil a identifié 20 gènes susceptibles d’empêcher les métastases du mélanome, dont un est présentement à l’étude. Le but ultime: développer des molécules pour stimuler ces gènes de défense et moduler leur rôle.
Pour leur part, les carcinomes représentent 95% des cancers de la peau et donnent rarement des métastases. Ils se développent après une exposition régulière au soleil. Les travailleurs à l’extérieur et les snowbirds sont très à risques. Ces cancers prennent la forme d’une plaie qui ne guérit pas et qui peut s’étendre sur une bonne superficie de peau. «Ils sont habituellement faciles à repérer et à enlever, mais lorsqu’on les retire, on doit parfois sacrifier une partie de l’oreille ou du nez», prévient le Dr Claveau.
Crème, crémons, crémez
Comment ne pas en arriver là? En modérant son exposition aux UV et en se protégeant adéquatement dès l’enfance. «Entre 60% et 80% de notre exposition solaire survient avant l’âge de 20 ans, raconte Joël Claveau. Chaque coup de soleil endommage le code génétique des cellules et est enregistré par l’organisme. Avec le temps, des mutations peuvent se former et conduire au cancer de 20 à 30 ans plus tard.»
Il faut donc apprendre à diminuer les risques: porter des manches longues, prendre des pauses à l’ombre, mettre un chapeau et bien se «crémer». «Les dermatologues recommandent d’utiliser des crèmes avec un facteur de protection solaire (FPS) d’au moins 30 et affichant le logo de l’Association canadienne de dermatologie, ce qui assure un blocage des UVA et des UVB», signale Joël Claveau. Pour les personnes à risque –teint clair qui produit moins de mélamine, les blonds et les roux, les gens avec des taches de rousseur ou avec les yeux pâles– une protection supérieure est préconisée. «Et attention aux produits cosmétiques, prévient Patrick Rochette. Même s’ils affichent un FPS, ils ne sont pas soumis aux mêmes règles que les écrans solaires.»
Une fois enduits de crème, les gens pensent qu’ils peuvent passer la journée au soleil. «Malheureusement, la plupart utilisent de 4 à 5 fois moins de crème que la quantité recommandée et n’en réappliquent pas durant la journée. Une bouteille devrait durer de 2 à 3 semaines, et non de 1 à 2 étés», souligne le Dr Claveau.
L’efficacité des crèmes ne peut plus être mise en doute depuis une dizaine d’années alors qu’une équipe de chercheurs de la Faculté de médecine, dont fait partie Joël Claveau, a démontré que ces produits protègent efficacement la peau contre l’altération de l’ADN et contre la formation de produits mutagènes qui peuvent conduire au cancer cutané. En laboratoire, les chercheurs ont bombardé de rayons UV des échantillons de peau humaine cultivée. Les bouts de peau non protégés ont vite montré des signes de désorganisation et de bris tissulaires. À l’opposé, ceux enduits de lotion solaire de facteur 30, bloquant les UVA et les UVB, ont mieux résisté à ces dégâts. «Comme ces dommages conduisent au cancer de la peau, on peut logiquement croire que les écrans solaires protègent contre cette maladie», soutient le dermatologue.
Les crèmes pourraient être encore plus performantes. Pour ce faire, le biochimiste Girish Shah espère un jour exploiter une défense naturelle de l’organisme. «Mon équipe a récemment découvert que l’ADN altéré active, rapidement et en grande quantité, une enzyme de réparation qui produit une substance facilement détectable quelques minutes après l’exposition aux rayons UV», explique le chercheur. Ce dernier pense qu’il serait possible d’ajouter aux crèmes des molécules qui stimuleraient cette enzyme afin de mieux protéger les cellules de la peau.
4 Stéphane Gobeil est aussi membre du Centre hospitalier universitaire (CHU) de Québec. ↩
Du soleil plein les yeux
La peau n’est pas la seule région du corps à réagir au soleil. En plus d’une bouteille de crème, il faut s’équiper d’un chapeau à large bord et d’une bonne paire de lunette solaire.
Mais les verres fumés sont-ils efficaces? «Au Canada, il n’existe ni règlementation ni vérification pour la fabrication de ces lunettes», prévient Patrick Rochette, professeur au Département d’ophtalmologie. Le chercheur a mis jusqu’à maintenant une centaine de paires de lunettes sur la sellette pour voir dans quelle proportion elles bloquent les rayons UV. Son constat est troublant: les verres testés protègent contre la brillance et l’éblouissement, mais plusieurs laissent passer des quantités alarmantes de rayons UV. Plus encore, ils filtrent inefficacement la lumière bleue, un intense rayonnement énergétique en cause dans la dégénérescence maculaire, qui entraîne une perte progressive de la vision centrale. Et ce n’est pas une question de prix! Les lunettes les plus chères ne protègent pas nécessairement mieux que les autres.
La situation inquiète le chercheur qui explique que l’œil a son propre mécanisme de défense: la brillance provoque des réflexes naturels de réduction d’exposition comme le plissement des paupières et la contraction de la pupille. Mais avec des lunettes teintées réduisant cette brillance, l’œil n’enclenche pas ses systèmes de protection, ce qui laisse entrer plus facilement la lumière bleue et les UV dans le cas où les lunettes ne les bloquent pas. Vivement une certification officielle garantissant la qualité des verres!
«Les lunettes solaires restent importantes et elles doivent bien couvrir les yeux, mentionne Joël Claveau. Surtout pour les enfants de 10 ans et moins chez qui l’œil n’a pas encore appris à se défendre contre les rayons solaires, mais aussi pour tous, afin de réduire les risques de cataractes et de cancer des paupières.»
Il y a peu d’études sur les effets néfastes du soleil sur les yeux. «Mais on sait qu’en exposition aiguë, les rayons UV causent des lésions à la cornée, appelées cécité des neiges et décrites par ceux qui en souffrent comme une sensation de sable dans les yeux, précise Patrick Rochette. De plus, en exposition chronique, le rayonnement solaire joue un rôle important dans l’apparition de cataractes, de conjonctivites et de la dégénérescence maculaire.»
Le chercheur travaille d’ailleurs sur des yeux cadavériques humains et des yeux de lapin pour comprendre pourquoi la cornée, pourtant comparable à la peau, ne développe pas de cancer. Ce travail permettra peut-être d’identifier ce qui est si vulnérable dans nos tissus cutanés.
Bronzer au salon?
La quête du teint parfait pousse de nombreuses personnes à fréquenter les salons de bronzage. On «grille» mieux, disent les uns. C’est plus sécuritaire et on obtient notre vitamine D, disent les autres. Rien n’est moins vrai, signale Joël Claveau: «Actuellement, les lampes de bronzage émettent de 3 à 6 fois plus de rayons UVA que le soleil. Elles concentrent le rayonnement afin d’obtenir en 20 minutes un bronzage équivalent à un bain de soleil de 1 ou 2 heures à l’heure du midi. De plus, le bronzage artificiel ne permet pas de synthétiser la vitamine D, mais provoque les mêmes dommages que le soleil».
Selon le dermatologue, il n’y a aucun bon argument pour fréquenter les salons de bronzage. Même la théorie «de se faire une couche de fond avant d’aller dans le Sud» n’est pas fondée, vu que le bronzage est le résultat d’une agression de la peau et ne protège pas vraiment des effets nocifs des rayons UV.
Voilà pourquoi le gouvernement a récemment décidé d’interdire l’utilisation des salons de bronzage au moins de 18 ans. «À mon avis, il faudrait bannir les salons de bronzage pour tout le monde si on veut vraiment faire une différence dans les statistiques du cancer de la peau», ajoute Girish Shah.
Publié le 30 avril 2015
Publié le 3 avril 2019 | Par jordano
Publié le 26 mai 2015 | Par Julien Crête
Je crois que l'exposition au soleil est importante à petite dose pour la production de vitamine D. Celle-ci joue un rôle protecteur dans plusieurs problématiques de santé. Vous devriez écrire un 2e article expliquant maintenant comment bénéficier du soleil de façon sécuritaire. Ex: temps d'exposition de 10 à 15 min. entre 10h et 15h, sans crème solaire pour ne pas empêcher la synthèse de la vitamine D, etc. Je crois qu'il est aussi important de se protéger du soleil que de savoir en retirer les bienfaits. Merci de m'informer quand vous publierez cet article. Bonne journée!
Publié le 7 mai 2015 | Par Landi
Publié le 2 mai 2015 | Par Murray Henley
Par ailleurs, cet article est littéralement terrifiant: il n'y a pas vraiment de bénéfices à l'exposition au soleil plus de quelques minutes par jour... On pourrait cependant tenir compte des bénéfices sur la santé du fait de profiter de la vie, incluant du soleil.
Est-ce que ceux qui passent leurs journées d'été à l'intérieur, ou drapés de lourds vêtements, vivent plus vieux en moyenne? À voir l'âge de décès de religieuses dans les avis publiés, on pourrait être portés à le croire...
Publié le 1 mai 2015 | Par André Douville
Après avoir lu cet article...
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