2 façons d’utiliser le soleil
Comment mieux mettre les rayons solaires au service des humains?
Par Pascale Guéricolas
Pendant que certains pestent contre le trop puissant soleil d’été, d’autres se demandent comment ils pourraient encore mieux tirer partie de cette énergie disponible et gratuite. Emmagasiner cette force pour alimenter des appareils électriques et mieux penser les ouvertures des immeubles pour maximiser la chaleur et la lumière du soleil: 2 pistes explorées à l’Université.
1 – Mettre le soleil dans des piles
Quand Mario Leclerc regarde le soleil, il voit surtout une boule d’énergie directement accessible et utilisable. Utilisable pour recharger des piles légères et durables. Composées de matériaux polymères, ces piles capables de capter, de transformer et d’emmagasiner l’énergie pourraient constituer une solution de rechange aux panneaux solaires rigides et aux piles de tout acabit.
Ce professeur en chimie des matériaux à la Faculté des sciences et de génie1 a, avec son collègue Jean-François Morin, réussi à produire des dérivés d’une molécule appelée polycarbazole afin de fabriquer des cellules photoactives de nouvelle génération. Ces cellules sont constituées de trois couches successives, deux électrodes et un semi-conducteur. Elles permettent de capter l’énergie solaire et de créer un courant électrique. La découverte, brevetée en 2001 au Canada et aux États-Unis, peut s’intégrer sous forme d’encre à des matériaux souples.
Un support allégé
Brandissant une longue feuille de plastique où les cellules photoactives s’alignent au garde-à-vous, Mario Leclerc s’enthousiasme: «On peut appliquer ce genre de bandes sur une fenêtre, on peut aussi intégrer les cellules dans une nappe, un auvent ou des vêtements». Les polymères jouent le rôle de semi-conducteurs en remplacement du silicium, ce qui baisse le coût de production et allège le support.
Il reste toutefois beaucoup à accomplir avant d’obtenir des produits commercialisables, et l’équipe de Mario Leclerc poursuit ses travaux avec l’Institut de recherche d’Hydro-Québec (IREQ) 2. Entre autres, une des couches qui forment la cellule photoactive pose problème, car elle résiste encore aux tentatives d’impression.
Le chercheur s’est fixé trois objectifs à atteindre avec ses piles dans un avenir proche. Obtenir 10% d’efficacité, avec des piles d’une durée de vie de 10 ans, à 10 sous du kilowattheure (kWh). C’est sa formule «10-10-10».
Déjà, un prototype mis au point par l’équipe offre 9,4% d’efficacité. Mais sa production à grande échelle coûterait encore trop cher. Les chercheurs travaillent donc sur de nouvelles méthodes synthétiques pour produire des éléments chimiques moins coûteux. Atteindre la cible des 10 sous le kWh donnerait à la pile une bonne chance de commercialisation, même dans une province où l’hydroélectricité se produit à environ 7 sous le kWh.
Et l’accroissement de la durée de vie des piles? Pour en parler, Mario Leclerc nous ramène aux étroites bandes plastiques. Il les imagine collées sur une fenêtre afin d’emmagasiner la lumière du jour pour, le soir venu, alimenter des fluorescents ou des ampoules, gratuitement et pendant plusieurs heures. Mais encore faut-il éviter que les habitants aient ensuite à changer ce filin de plastique aux deux ans. Curieusement, ces piles solaires n’aiment pas le soleil. «Les colorants organiques se dégradent à la lumière, et on doit protéger les molécules des rayons ultraviolets avec une couche de protection; leur mettre de la crème solaire en quelque sorte», précise le chercheur, un sourire en coin.
Applications multiples
Parvenir à obtenir une pile «10-10-10» ouvrirait différents marchés à ce produit. Les piles intégrées aux vêtements pourraient alimenter un téléphone portable, une tablette ou un ordinateur, tous voraces en énergie. Autre débouché possible: l’armée. En effet, les soldats en mission sont actuellement condamnés à transporter une quarantaine de piles différentes, que ce soit pour l’utilisation de leur lampe de poche, de leur walkie-talkie ou de lunettes à infrarouge; les remplacer par des vêtements ou des toiles photoactives leur serait d’une grande aide.
Le chercheur songe aussi au potentiel de ses piles solaires dans les pays en développement, en manque cruel de courant. Par exemple, dans un village africain dépourvu d’électricité, il suffirait d’étendre une grande nappe dotée de molécules photoactives dans la journée pour permettre aux villageois de s’éclairer le soir ou de recharger leur téléphone portable.
«En une heure, le Soleil fournit à la Terre ce que l’humanité consomme d’énergie en une année, s’exclame Mario Leclerc. Imaginez quelle marge d’exploitation on aurait si des piles recouvraient le globe terrestre…» Le professeur n’en revient pas du potentiel énergétique que représente l’astre solaire. D’autant plus que, contrairement à d’autres sources d’énergie renouvelable comme la biomasse ou l’éolien, son utilisation est inodore et ne fait pas de bruit.
1 Mario Leclerc est également codirecteur du Centre québécois sur les matériaux fonctionnels et membre du Centre de recherche sur les matériaux avancés et du Laboratoire des polymères électroactifs et photoactifs. ↩
2 Pour visiter le site de l’Institut de recherche d’Hydro-Québec ↩
2- Des bâtiments ouverts au soleil
Dans les années 1960 et 1970, les architectes ont voulu faire comme si le soleil n’existait pas. Quitte à cacher les élèves des polyvalentes dans des classes et des laboratoires sans fenêtres. Ou encore à condamner les humains à vivre et à travailler à température et à éclairage constants été comme hiver. Aujourd’hui, le dehors commence à s’inviter dans le dedans des nouveaux bâtiments. Une architecture mieux intégrée à son environnement, et surtout ouverte à la lumière naturelle, comme on l’a fait pendant les millénaires qui ont précédé l’invention de l’électricité.
Ces questions intéressent directement le Groupe de recherche en ambiances physiques (GRAP)3de l’École d’architecture et ses deux chercheurs principaux, Claude MH Demers4 et André Potvin5. Dans leur souci d’améliorer le confort des personnes qui occupent les bâtiments, ces experts des variations lumineuses et thermales collaborent avec des constructeurs sur des projets précis. Leurs outils? Des caméras thermiques qui mesurent les variations de température dans une pièce, ou d’une pièce à l’autre, ainsi que des instruments évaluant la façon dont la lumière naturelle pénètre dans un bâtiment selon les saisons ou l’instant de la journée. Des graphiques permettent ensuite de visualiser ces données. «Nous complétons toujours les mesures physiques par un questionnaire visant à comprendre les perceptions des habitants de l’édifice», précise Claude Demers.
Elle et son collègue multiplient aussi les expériences. Ces dernières années, ils ont par exemple planché sur une structure en bois de 3 étages, soit 6,6 m de haut, installée en nature et modulable selon la direction du soleil et du vent. Des chercheurs de la Faculté de foresterie, de géographie et de géomatique ont aussi participé à ce projet afin d’effectuer des tests de structure. Ce modèle d’ambiance multisensoriel, presque à l’échelle d’un immeuble, leur a permis d’expérimenter les innombrables changements d’ambiance au fil des heures et des saisons grâce à ses murs, ses cloisons et ses planchers rétractables.
Les leçons du passé
Ces principes de construction en harmonie avec les cycles de lumière et de chaleur extérieures font partie des connaissances des architectes depuis plusieurs siècles. La preuve: en effectuant des relevés thermiques dans les couloirs de l’édifice du Vieux-Séminaire-de-Québec où se trouvent les locaux de l’École d’architecture, les chercheurs ont pu constater que ce bâtiment de trois siècles dispense une chaleur enveloppante et un éclairage naturel abondant. «L’hiver, la façade blanche du bâtiment offre une très belle luminosité à nos ateliers en réfléchissant la lumière du soleil sur la neige, explique Claude Demers. Quand le moral de certaines personnes est au plus bas en janvier ou en février, ce soleil à travers une vitre fait beaucoup de bien. Une véritable luminothérapie.» Des éléments qui rendent la vie dans le bâtiment confortable, selon cette partisane d’une architecture orientée vers les besoins des humains, tout comme le fait de pouvoir travailler dans son bureau à la lumière naturelle.
De ses travaux sur les bâtiments existants, Mme Demers a tiré différents principes qu’elle et son équipe ont appliqué au pavillon Gene-H.-Kruger, construit sur le campus en 2004. Les puits de lumière abondent dans cet édifice consacré à la foresterie, car la lumière naturelle repose l’œil, tandis que des systèmes de lamelles extérieures en verre préservent la façade des rayons trop intenses du soleil en été, ce qui évite de climatiser inutilement l’intérieur. En hiver, par contre, on laisse entrer abondamment le soleil et on profite d’une chaleur gratuite grâce, notamment, au sol foncé de la cafétéria qui absorbe largement cette énergie.
Nouvelles générations d’architectes
Ce souci de tenir compte des avantages de l’environnement extérieur plutôt que simplement l’ignorer conduit à des choix d’architecture. Claude Demers et André Potvin s’emploient justement à sensibiliser les futurs architectes à l’importance de la lumière naturelle et à la répartition de la chaleur, lors de l’atelier Ambiances physiques et design. La forme d’un édifice peut, par exemple, faciliter ou non les circulations d’air. Et avant de prévoir un puits de lumière, mieux vaut s’assurer qu’il soit situé à un endroit où la neige ne s’accumule pas.
Les étudiants à l’École d’architecture disposent d’ailleurs d’un outil précieux pour concevoir leurs bâtiments en fonction de leur orientation. Depuis peu, ils peuvent placer leur maquette, et la faire bouger, à l’intérieur d’une drôle de boîte en bois, dont le plafond reproduit la luminosité d’un ciel blanc diffus. Ce cubicule, baptisé ciel artificiel, disponible seulement dans deux écoles au Canada, se rapproche de la réalité et permet d’estimer comment la lumière se répartit à l’intérieur d’un édifice, selon les saisons et l’orientation qu’on lui donne sur un terrain. Une véritable révolution par rapport à l’architecture des pâtés de béton repliés sur eux-mêmes.
3 Pour visiter le site du Groupe de recherche en ambiances physiques (GRAP) ↩
4 Claude MH Demers est aussi professeure à l’École d’architecture. ↩
5 André Potvin est également professeur à l’École d’architecture. ↩
Publié le 30 avril 2015
Publié le 5 mai 2015 | Par Gaé!
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