Trop de naissances par césarienne?
Doit-on s'inquiéter du nombre d'accouchements par césarienne ici et dans le monde?
Par Mélanie Larouche
Une étude publiée en 2018 dans la revue scientifique The Lancet indique que la fréquence des césariennes a presque doublé sur la planète depuis l’an 2000. Aujourd’hui, un enfant sur cinq naît par césarienne. Comment expliquer cette hausse? Est-elle préoccupante et qu’en est-il chez nous? Le Dr Emmanuel Bujold, professeur au Département d’obstétrique, de gynécologie et de reproduction, examine la question et fait le point sur la situation.
Que pensez-vous des résultats de l’étude publiée par The Lancet?
Je ne suis pas surpris par ces données. Bien que le nombre de césariennes varie toujours selon les populations, il est connu que, dans de nombreux pays émergents comme la Chine, le Brésil et la Turquie, cette intervention se pratique désormais pour plus de 40% des naissances. La proportion frôle même les 80% pour les mamans plus aisées. Considérant que l’Organisation mondiale de la santé indique qu’un taux normal de césariennes, d’un point de vue médical, se situe entre 10 et 15%, ces pourcentages sont très élevés.
Comment expliquer une telle hausse?
La problématique est complexe et multifactorielle. La médecine à deux vitesses explique en grande partie cette situation. Dans plusieurs pays émergents, le système public de santé est déficient, ce qui favorise une croissance importante du nombre de cliniques privées dont le but premier est malheureusement le profit. Dans un système privé, la planification est très importante afin de concentrer les ressources et le personnel soignant. N’offrant pas de service de nuit, les médecins et les compagnies persuadent les femmes qu’il est préférable d’accoucher par une césarienne planifiée durant la journée plutôt que de prendre le «risque» de devoir le faire le soir, dans un système public de moindre qualité. Également, les césariennes sont plus rentables que les accouchements vaginaux pour ces établissements puisqu’elles impliquent une intervention chirurgicale.
Quels autres facteurs jouent un rôle?
Outre l’aspect économique, la question culturelle et la formation du personnel médical sont à considérer. Par exemple, j’ai rencontré des gynécologues en Turquie qui sont convaincus que les accouchements par césarienne sont bien plus sécuritaires que les accouchements par voie vaginale. Par ailleurs, aux États-Unis, où le taux de césariennes est de 33%, l’aspect médicolégal est grandement considéré. En privilégiant cette option, les médecins ont l’impression de réduire les risques de complications et, éventuellement, de poursuites judiciaires. Enfin, certaines cliniques vont jusqu’à tabler sur des raisons cosmétiques, vendant aux mamans l’idée qu’en devançant la naissance du bébé, elles réduiront la probabilité d’avoir des vergetures.
Qu’en est-il de ce phénomène au Canada et au Québec?
Chez nous, les choses sont bien différentes, notamment en raison du fonctionnement de notre système de santé. Le régime public offrant des soins de qualité 7 jours sur 7, 24 heures sur 24, la tendance dont nous sommes témoins dans d’autres coins du monde ne risque pas de se reproduire. Ici, tant de la part de l’appareil médical, des différents organismes dans le milieu de la santé et de l’obstétrique que de la population, j’observe plutôt une sensibilisation et une mobilisation à la vigilance pour éviter un nombre d’accouchements par césarienne qui serait excessif.
Néanmoins, de récentes statistiques révèlent une hausse des accouchements par césarienne au Québec, de 20,9% en 2002 à 24,9% en 2015.
D’une part, on sait que les femmes québécoises fondent en moyenne leur famille à un âge plus avancé qu’avant. Cela accroît les risques de complications et, donc, les recommandations de césarienne. D’autre part, au début des années 2000, lorsque l’enfant se présentait par le siège, ce qui arrive dans 3 à 4% des accouchements, on procédait automatiquement par césarienne. Au point même que la technique d’accouchement vaginal lors d’un siège a pratiquement disparu pendant quelques années, ce qui a contribué au pourcentage global de césariennes.
Enfin, lorsqu’une maman accouche de son premier enfant par césarienne, il est rare qu’elle accouche par voie vaginale par la suite. C’est un genre de standard établi au Québec et au Canada après que des études scientifiques ont suggéré que l’accouchement vaginal après césarienne (AVAC) comportait un risque de rupture utérine, la césarienne laissant une cicatrice sur l’utérus. Dans la réalité, ce risque est faible, mais s’il se concrétise, il est dangereux pour la maman et le bébé. Pour cette raison, la plupart des mamans font le choix de césariennes répétées. Cela dit, sur la base de nos recherches, nous développons des outils qui permettront aux mamans qui le souhaitent, et dont la condition médicale l’autorise, d’opter pour un accouchement vaginal de façon sécuritaire même si elles ont connu précédemment la césarienne.
Par quels moyens?
L’une des approches consiste à affiner les techniques qui permettent d’établir l’épaisseur de la cicatrice sur l’utérus et, ultimement, l’épaisseur critique de cette cicatrice pour envisager ou non un accouchement naturel sécuritaire. À l’heure actuelle, les AVAC s’élèvent à seulement 16% au Québec. En donnant un meilleur accès à des AVAC sécuritaires, ce taux pourrait être haussé à 20%.
Pourquoi chercher à accroître le nombre d’accouchements par voie vaginale?
Parce que les bénéfices pour la mère et le bébé sont très importants. Lorsque prévue, la césarienne est généralement réalisée vers 39 semaines de grossesse. Quand on fait naître un bébé à 39 semaines, alors qu’une grossesse normale est de 42 semaines, parfois même un peu plus, il lui manque une maturation qu’il n’acquiert qu’en toute fin de gestation. C’est en quelque sorte un bébé prématuré. Pour les enfants qui naissent à terme, on va donc chercher une plus grande maturité de développement. Les derniers jours avant le début du travail sont importants: ils favorisent la santé du bébé à long terme. Les bénéfices sont nombreux, notamment sur le plan immunologique; ces bébés présentent moins de complications respiratoires, pulmonaires, moins de diabète. En ce qui concerne le sang du bébé, le travail suscite un échange plus grand de cellules immunitaires maternelles. Dans le même sens, une étude menée il y a quelques années auprès d’enfants de deux ans a démontré que la tentative d’accouchement vaginal, même si elle se solde par une césarienne, entraîne un plus haut taux de survie pour les nouveau-nés et une meilleure santé globale.
Dans quels contextes la césarienne est-elle prescrite?
Il peut y avoir plusieurs raisons, mais en gros, la césarienne est nécessaire lorsqu’elle est effectivement associée à une réduction des risques pour la santé de la maman et du bébé. Par exemple, dans 5% des accouchements, le placenta est placé devant le col de l’utérus. Cette condition exige une césarienne. Mais en général, la moyenne des accouchements à haut risque de complication s’élève à 2 ou 3%. Dans cette optique, le corps médical doit tendre à ne pas surestimer les besoins en césariennes dans des situations données. Par exemple, le monitorage du cœur fœtal vise à déceler les signes de manque d’oxygène (hypoxie) du fœtus durant le travail. Instaurée au Québec et partout en Amérique du Nord dans les années 1980-90, cette pratique a fait augmenter le taux de césariennes sans qu’il soit question dans tous les cas de risques pour la santé de la mère ou de l’enfant. En effet, les causes d’anomalie du pouls du bébé sont multiples, et plusieurs ne devraient pas être interprétées d’emblée comme étant graves ou exigeant une intervention par césarienne. De 10 à 15% des césariennes pratiquées pour cette raison pourraient être évitées. Le même genre de problème dans l’interprétation des données peut s’appliquer à de nombreux tests prénataux. Sans compter qu’ils peuvent accentuer le niveau de stress chez les mamans.
Bref, au Québec, à moins d’avis contraire, l’accouchement par voie vaginale est favorisé.
Ma réponse est oui. Quant aux risques de complications périnatales, on peut contribuer à les prévenir en bonne partie en repérant les indices de problèmes dès le premier trimestre de la grossesse. Précédemment, j’ai mentionné le syndrome de la déchirure de l’utérus. J’ajoute celui de la prééclampsie. Ce dysfonctionnement du placenta, qui provoque de l’hypertension artérielle et qui souvent se solde par une provocation de l’accouchement, touche de 2 à 5% des futures mamans. Dans le cas de grossesses multiples, ce taux est jusqu’à quatre fois plus élevé. Or, nos travaux ont démontré que la prise d’aspirine en début de grossesse réduit de façon significative le risque de prééclampsie. La diminution de ce problème pourrait aussi limiter le taux de déclenchement du travail, qui est aujourd’hui très élevé.
Publié le 30 avril 2019 | Par Louis Béland
Publié le 23 février 2019 | Par Bujold
Félicitations!
Publié le 22 février 2019 | Par frederic
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