Lumière sur le vivant
La biophotonique permet de détecter des maladies, d'opérer en douceur et d'observer les cellules en action. Voici comment la science changera la médecine.
Par Gilles Drouin
Québec, 2022. Étendu sur la table d’examen, Philippe observe son médecin de famille déplacer un petit appareil silencieux au-dessus de son corps. Après seulement une minute, un bilan de santé défile à l’écran : aucune trace de lésion au côlon, prostate normale, excellent profil enzymatique, des poumons de bébé et un cœur d’athlète. «C’est très bien, M. Tremblay, lance la jeune médecin. Vous avez un taux de lipoprotéine (a) un peu trop élevé, mais rien d’alarmant.»
S’il n’en tient qu’aux chercheurs en biophotonique du Centre de recherche Université Laval Robert-Giffard (CRULRG), la réalité pourrait rattraper cette fiction à la Star Trek et même la dépasser. «Nous ne sommes pas si loin du tricorder utilisé par le Dr McCoy pour établir un diagnostic», remarque Paul De Koninck, professeur au Département de biochimie et de microbiologie. Par exemple, des recherches menées à McGill et subventionnées par le CRULRG ont déjà démontré qu’il serait possible de concevoir un détecteur optique pour déceler l’hémozoïne. Cette molécule est en quelque sorte un déchet produit par le parasite responsable de la malaria. Sa présence dans le sang indique donc que la personne développera la maladie tôt ou tard.
«Nos avancées scientifiques démontrent que cela deviendra une réalité, mais il reste encore du chemin à faire avant d’avoir des appareils performants, compacts, simples à utiliser et abordables», prévient toutefois Daniel Côté, professeur au Département de physique et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en biophotonique.
Trêve de science-fiction! En fait, la biophotonique est présente dans nos vies depuis environ 150 ans. Dans sa forme quasi préhistorique, elle est d’abord le bon vieux microscope, qui projette de la lumière sur un échantillon de façon à en distinguer les parties significatives à travers des lentilles grossissantes.
La médecine moderne profite déjà des avantages de l’optique et du laser. La chirurgie oculaire au laser est devenue presque banale. Il existe aussi divers types d’endoscopies où une mince fibre optique permet au médecin de voir à l’intérieur du corps afin d’établir un diagnostic ou d’effectuer des interventions chirurgicales beaucoup moins invasives. Aujourd’hui, on peut parfois frôler la mort en raison d’artères obstruées et sortir de l’hôpital avec, pour toute cicatrice, un point gros comme une piqûre d’insecte au poignet.
Quincaillerie pour la vie
«De façon très générale, la biophotonique consiste à utiliser la lumière pour mieux comprendre le vivant », explique le neurobiologiste Yves De Koninck (frère de Paul), professeur au Département de psychiatrie et membre du CRULRG. Cette compréhension ouvre la voie à des méthodes diagnostiques moins intrusives ainsi qu’à des approches thérapeutiques ultra-précises. En effet, le laser, principal outil de la biophotonique, constitue un magnifique scalpel grâce à la possibilité de concentrer son énergie en un très petit point. Et ce n’est que la plus connue de ses utilités.
D’abord conçus pour les besoins des télécommunications, de nombreux outils servant à produire, acheminer, canaliser et traiter la lumière sont maintenant disponibles pour les chercheurs en biophotonique, souvent à des coûts relativement bas. Les yeux de Daniel Côté s’illuminent comme ceux d’un enfant devant un étal de gâteries: «Nous avons accès à une gigantesque quincaillerie remplie d’outils optiques dans laquelle nous pouvons piger selon nos besoins de recherche.»
Une technologie fascinante est celle du laser à impulsions brèves, appelé femtoseconde. Ce laser peut propulser à tous les 10 milliardièmes de seconde un paquet de photons compressés dans une galette de 30 millionièmes de mètre! Grâce à ces millions de flash, il produit une myriade de clichés ultra-précis, dignes descendants des techniques photographiques qui permettaient jadis de décortiquer le passage d’un projectile dans une pomme. Le transfert de cette technologie est déjà amorcé pour le diagnostic de certaines maladies, dont le cancer du sein, et pour la chirurgie, notamment dans les opérations de la cornée.
Le CRULRG est bien placé pour piger dans la quincaillerie puisque l’Université Laval jouit d’une expertise peu commune dans le monde des femtosecondes grâce, entre autres, au Centre optique, photonique et laser. D’ailleurs, Daniel Côté est aussi membre de ce centre de recherche de l’Université Laval qui travaille étroitement avec les gens du centre de Robert-Giffard. L’Institut national d’optique est aussi de la partie.
Guidés par la méduse
À cette quincaillerie s’ajoute un produit naturel indispensable: une protéine fluorescente verte. Découverte chez les méduses il y a une quarantaine d’années, cette protéine a été l’objet d’études détaillées et de manipulations génétiques pour en faire des biosondes multicolores, ce qui a valu le Nobel de chimie 2008 à trois scientifiques, un Japonais et deux Américains. «L’honneur est amplement mérité, car ces travaux ont révolutionné la biophotonique», déclare Yves De Koninck.
Comment fonctionne une telle biosonde? Par génie génétique, il est possible d’insérer le gène responsable de la fabrication de cette protéine fluorescente dans n’importe quelle cellule. Sous l’effet du laser, elle s’illuminera et il s’agira ensuite de la suivre à la trace. «En laboratoire, ajoute Yves De Koninck, cette protéine permet de mesurer les flux ioniques, les réactions enzymatiques, la sécrétion de substances chimiques et même l’activité électrique au sein des cellules et entre elles.»
Fluorescence et laser se combinent pour donner des images en trois dimensions d’une précision inégalée. «Lorsque nous travaillons sur des cellules isolées, la biophotonique permet de pousser les limites de la résolution à leur maximum», remarque Paul De Koninck.
La cellule exprime des protéines qui sont essentiellement des assemblages d’acides aminés assurant le fonctionnement de base de notre organisme. Ces protéines sont diverses. Il peut s’agir d’enzymes catalysant des réactions biochimiques essentielles à la vie. Ou bien de récepteurs à hormones ou à neurotransmetteurs qui transportent des signaux provenant d’autres cellules, comme les neurones, afin de contrôler des mécanismes aussi cruciaux que la croissance, la reproduction ou la pensée.
Le chant des cellules
Juste retour des choses, le laser des télécommunications nous permet maintenant d’écouter les cellules se parler. Il nous montre aussi comment les protéines interviennent dans la discussion.
«L’énergie de la lumière n’est ni trop faible ni trop forte pour observer ce qui s’y passe, explique Daniel Côté. C’est juste la bonne énergie pour être sensible à ce qui se passe quand deux molécules ou deux protéines se touchent. En plus, la lumière nous procure une très bonne résolution spatiale pour observer ces interactions.» Le laser permet d’identifier et de mesurer les molécules présentes lorsque la communication est en cours ou lorsqu’elle se modifie en intensité et en contenu.
De toutes les possibilités du laser, c’est peut-être elle qui passionne le plus les trois chercheurs du CRULRG. Yves De Koninck utilise cette approche pour étudier les mécanismes moléculaires de transmission de la douleur. De telles observations sont aussi utiles pour l’étude de la mémoire et du vieillissement du cerveau puisqu’elles permettent de voir ce qui se passe dans les cellules en dégénérescence, ce que fait Paul De Koninck. Quant à Daniel Côté, il observe de cette façon l’évolution de la matière blanche dans le cerveau et plus particulièrement les problèmes liés à la destruction de la myéline, l’enveloppe des nerfs, en cause dans la sclérose en plaques.
Pour l’instant, le laser permet de voir ce qui se passe au niveau moléculaire dans un tissu vivant, mais surtout dans des conditions de laboratoire. Ultimement, les observations pourront se faire dans la vraie vie. « Un des grands enjeux de la biologie moderne est de pouvoir étudier le tissu vivant et intervenir dessus, dans le contexte de son fonctionnement dans le corps humain», mentionne Yves De Koninck.
La biophotonique rend donc possible une analyse très fine de ce qui se produit au niveau moléculaire. «Nous savons déjà ce qui se passe dans les grandes lignes, explique Paul De Koninck. L’utilisation du laser nous permet toutefois de voir les détails qui font toute la différence.»
Vers le tricorder de Star Trek
La capacité d’identifier et de suivre une cellule, une protéine ou toute autre particule du même registre élargit grandement la voie du diagnostic et de la thérapie. La clé des diagnostics consiste à décoder la signature optique de la substance recherchée. «Il s’agit ensuite de concevoir l’appareil qui sera capable de l’identifier rapidement, ce qui n’est pas nécessairement facile», ajoute Paul De Koninck.
Ainsi, une équipe de l’Université Laval, regroupant le médecin Michel Bergeron et les chimistes Mario Leclerc et Denis Boudreau, s’active à concevoir des nanosondes pour détecter des maladies infectieuses. Intégrées au matériel d’analyse d’un lecteur optique hypersensible expérimental, ces nanosondes permettraient de détecter très rapidement quelques unités d’un pathogène. «On pourrait aussi imaginer éventuellement un lecteur optique capable de repérer et compter les globules blancs du sang à travers la peau et ainsi indiquer la présence d’une infection, ce qui permettrait d’intervenir très rapidement», mentionne Daniel Côté.
Le physicien a lui-même réussi, en collaboration avec des chercheurs américains, à suivre à la trace des cellules souches implantées dans la moelle osseuse d’un os du crâne d’une souris vivante. L’équipe a obtenu des images tridimensionnelles qui en révèlent un peu plus sur le comportement de ces cellules primordiales. Les détails de ce tour de force ont été publiés dans la prestigieuse revue Nature, le 4 décembre 2008.
Incidemment, la biophotonique trouve des applications dans bien d’autres domaines que l’étude des cellules ou la médecine. «À l’Université Laval, nous menons des travaux en collaboration avec l’Institut national d’optique afin de mettre au point des techniques de détection des agents pathogènes dans l’eau, l’air et les aliments», mentionne Paul De Koninck. Ainsi, au moyen d’une sorte de lecteur optique portable, il sera éventuellement possible de détecter quasi instantanément une bactérie comme Listeria ou encore des coliformes. «Ces appareils pourraient même sonder des aliments emballés», ajoute le chercheur.
D’un point de vue thérapeutique, la lumière est tout aussi intéressante. «L’énergie qu’elle dégage cause peu de dommage au corps humain, note Daniel Côté. C’est juste assez fort pour obtenir un résultat.». Et on lui trouve sans cesse de nouvelles applications. Depuis peu, les oncologues utilisent l’activation de médicament par la lumière pour s’attaquer à des tumeurs au cerveau ou au cancer de la peau. Cette thérapie lumineuse fait aussi son entrée dans l’arsenal pour combattre le psoriasis, une maladie de la peau particulièrement coriace, et la dégénérescence maculaire, une maladie de l’œil.
«Il s’agit sans doute d’une des applications actuelles les plus excitantes», lance Daniel Côté. Avec ce qu’on appelle la thérapie photodynamique, le médecin injecte d’abord un médicament inactif dans l’organisme. Puis, au moyen d’un laser, il active le poison uniquement dans la tumeur. Il atteint ainsi la cible en réduisant au minimum les dommages collatéraux que tous les patients ayant subi une chimiothérapie ou une radiothérapie ne connaissent que trop bien.
De leur côté, les médecins du Ontario Cancer Institute, à Toronto, utilisent le laser comme guide chirurgical. Au moyen d’un marqueur fluorescent s’illuminant sous l’effet du laser, il est possible pour le chirurgien de bien repérer les cellules cancéreuses, permettant ainsi une excision complète de la tumeur tout en laissant sur place les tissus sains, une distinction cruciale dans les cas de tumeurs au cerveau.
La neurobiologie, en particulier l’étude du cerveau, constitue d’ailleurs l’un des domaines de recherche qui devraient bénéficier le plus des progrès de la biophotonique. Notre organe pensant est fragile, et il est impensable d’en prélever une partie chez un malade à des fins d’examen. Yves De Koninck s’intéresse particulièrement à cette question. «La lumière ne pénètre qu’en surface dans les tissus nerveux, explique le neurobiologiste. Heureusement, dans le cerveau, il se passe beaucoup de choses en surface.» Pour aller plus en profondeur, il faudra toutefois créer des micro-endoscopes qui permettront de mesurer divers signaux à l’aide de la lumière, ce à quoi le groupe de Robert-Giffard travaille en collaboration avec le Centre d’optique, photonique et laser ainsi que l’Institut national d’optique.
Nouvelle discipline en pleine effervescence, la biophotonique implique finalement l’adaptation d’une multitude d’outils et de techniques aux sciences biologiques. «Nous ne sommes pas juste des utilisateurs de la lumière, remarque Yves De Koninck. Nous avons à effectuer un véritable transfert de technologies et à intégrer tous les moyens dont nous disposons pour étudier le vivant.» Bienvenue aux pionniers!
***
APPRENDRE À SE PARLER
Quand la science se complexifie au point d’exiger la collaboration de spécialistes de plusieurs champs, il est temps de former une équipe multidisciplinaire. Encore faut-il que ses membres se comprennent! «Biologistes et physiciens doivent apprendre à se parler», lance Paul De Koninck, responsable des programmes de maîtrise et de doctorat en biophotonique offerts depuis l’automne 2008 par l’Université Laval.
Un des objectifs avoués du programme est justement de briser la barrière des langages entre les spécialistes. Le défi est de trouver le point de rencontre entres physiciens et biologistes, qui parcourent le chemin des sciences en sens inverse. «Les physiciens élaborent des modèles théoriques qu’ils soumettent à l’expérimentation, tandis que les biologistes observent la réalité pour ensuite élaborer des modèles et des théories», résume le physicien Daniel Côté.
Les sciences de la vie et les sciences physiques étant les deux grands domaines impliqués en biophotonique, le programme d’études supérieures invitera les biologistes ou biochimistes à suivre des cours d’optique et les physiciens, ingénieurs ou chimistes à prendre des leçons de biologie. Résolument multidisciplinaire, le programme s’adresse tout autant aux diplômés de génie physique, de génie électrique, de génie chimique ou de chimie qu’à ceux de biochimie, de microbiologie, de physiologie, de biophysique, de biotechnologie, des sciences biomédicales et de biologie médicale.
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S’il n’en tient qu’aux chercheurs en biophotonique du Centre de recherche Université Laval Robert-Giffard (CRULRG), la réalité pourrait rattraper cette fiction à la Star Trek et même la dépasser. «Nous ne sommes pas si loin du tricorder utilisé par le Dr McCoy pour établir un diagnostic», remarque Paul De Koninck, professeur au Département de biochimie et de microbiologie. Par exemple, des recherches menées à McGill et subventionnées par le CRULRG ont déjà démontré qu’il serait possible de concevoir un détecteur optique pour déceler l’hémozoïne. Cette molécule est en quelque sorte un déchet produit par le parasite responsable de la malaria. Sa présence dans le sang indique donc que la personne développera la maladie tôt ou tard.
«Nos avancées scientifiques démontrent que cela deviendra une réalité, mais il reste encore du chemin à faire avant d’avoir des appareils performants, compacts, simples à utiliser et abordables», prévient toutefois Daniel Côté, professeur au Département de physique et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en biophotonique.
Trêve de science-fiction! En fait, la biophotonique est présente dans nos vies depuis environ 150 ans. Dans sa forme quasi préhistorique, elle est d’abord le bon vieux microscope, qui projette de la lumière sur un échantillon de façon à en distinguer les parties significatives à travers des lentilles grossissantes.
La médecine moderne profite déjà des avantages de l’optique et du laser. La chirurgie oculaire au laser est devenue presque banale. Il existe aussi divers types d’endoscopies où une mince fibre optique permet au médecin de voir à l’intérieur du corps afin d’établir un diagnostic ou d’effectuer des interventions chirurgicales beaucoup moins invasives. Aujourd’hui, on peut parfois frôler la mort en raison d’artères obstruées et sortir de l’hôpital avec, pour toute cicatrice, un point gros comme une piqûre d’insecte au poignet.
Quincaillerie pour la vie
«De façon très générale, la biophotonique consiste à utiliser la lumière pour mieux comprendre le vivant », explique le neurobiologiste Yves De Koninck (frère de Paul), professeur au Département de psychiatrie et membre du CRULRG. Cette compréhension ouvre la voie à des méthodes diagnostiques moins intrusives ainsi qu’à des approches thérapeutiques ultra-précises. En effet, le laser, principal outil de la biophotonique, constitue un magnifique scalpel grâce à la possibilité de concentrer son énergie en un très petit point. Et ce n’est que la plus connue de ses utilités.
D’abord conçus pour les besoins des télécommunications, de nombreux outils servant à produire, acheminer, canaliser et traiter la lumière sont maintenant disponibles pour les chercheurs en biophotonique, souvent à des coûts relativement bas. Les yeux de Daniel Côté s’illuminent comme ceux d’un enfant devant un étal de gâteries: «Nous avons accès à une gigantesque quincaillerie remplie d’outils optiques dans laquelle nous pouvons piger selon nos besoins de recherche.»
Une technologie fascinante est celle du laser à impulsions brèves, appelé femtoseconde. Ce laser peut propulser à tous les 10 milliardièmes de seconde un paquet de photons compressés dans une galette de 30 millionièmes de mètre! Grâce à ces millions de flash, il produit une myriade de clichés ultra-précis, dignes descendants des techniques photographiques qui permettaient jadis de décortiquer le passage d’un projectile dans une pomme. Le transfert de cette technologie est déjà amorcé pour le diagnostic de certaines maladies, dont le cancer du sein, et pour la chirurgie, notamment dans les opérations de la cornée.
Le CRULRG est bien placé pour piger dans la quincaillerie puisque l’Université Laval jouit d’une expertise peu commune dans le monde des femtosecondes grâce, entre autres, au Centre optique, photonique et laser. D’ailleurs, Daniel Côté est aussi membre de ce centre de recherche de l’Université Laval qui travaille étroitement avec les gens du centre de Robert-Giffard. L’Institut national d’optique est aussi de la partie.
Guidés par la méduse
À cette quincaillerie s’ajoute un produit naturel indispensable: une protéine fluorescente verte. Découverte chez les méduses il y a une quarantaine d’années, cette protéine a été l’objet d’études détaillées et de manipulations génétiques pour en faire des biosondes multicolores, ce qui a valu le Nobel de chimie 2008 à trois scientifiques, un Japonais et deux Américains. «L’honneur est amplement mérité, car ces travaux ont révolutionné la biophotonique», déclare Yves De Koninck.
Comment fonctionne une telle biosonde? Par génie génétique, il est possible d’insérer le gène responsable de la fabrication de cette protéine fluorescente dans n’importe quelle cellule. Sous l’effet du laser, elle s’illuminera et il s’agira ensuite de la suivre à la trace. «En laboratoire, ajoute Yves De Koninck, cette protéine permet de mesurer les flux ioniques, les réactions enzymatiques, la sécrétion de substances chimiques et même l’activité électrique au sein des cellules et entre elles.»
Fluorescence et laser se combinent pour donner des images en trois dimensions d’une précision inégalée. «Lorsque nous travaillons sur des cellules isolées, la biophotonique permet de pousser les limites de la résolution à leur maximum», remarque Paul De Koninck.
La cellule exprime des protéines qui sont essentiellement des assemblages d’acides aminés assurant le fonctionnement de base de notre organisme. Ces protéines sont diverses. Il peut s’agir d’enzymes catalysant des réactions biochimiques essentielles à la vie. Ou bien de récepteurs à hormones ou à neurotransmetteurs qui transportent des signaux provenant d’autres cellules, comme les neurones, afin de contrôler des mécanismes aussi cruciaux que la croissance, la reproduction ou la pensée.
Le chant des cellules
Juste retour des choses, le laser des télécommunications nous permet maintenant d’écouter les cellules se parler. Il nous montre aussi comment les protéines interviennent dans la discussion.
«L’énergie de la lumière n’est ni trop faible ni trop forte pour observer ce qui s’y passe, explique Daniel Côté. C’est juste la bonne énergie pour être sensible à ce qui se passe quand deux molécules ou deux protéines se touchent. En plus, la lumière nous procure une très bonne résolution spatiale pour observer ces interactions.» Le laser permet d’identifier et de mesurer les molécules présentes lorsque la communication est en cours ou lorsqu’elle se modifie en intensité et en contenu.
De toutes les possibilités du laser, c’est peut-être elle qui passionne le plus les trois chercheurs du CRULRG. Yves De Koninck utilise cette approche pour étudier les mécanismes moléculaires de transmission de la douleur. De telles observations sont aussi utiles pour l’étude de la mémoire et du vieillissement du cerveau puisqu’elles permettent de voir ce qui se passe dans les cellules en dégénérescence, ce que fait Paul De Koninck. Quant à Daniel Côté, il observe de cette façon l’évolution de la matière blanche dans le cerveau et plus particulièrement les problèmes liés à la destruction de la myéline, l’enveloppe des nerfs, en cause dans la sclérose en plaques.
Pour l’instant, le laser permet de voir ce qui se passe au niveau moléculaire dans un tissu vivant, mais surtout dans des conditions de laboratoire. Ultimement, les observations pourront se faire dans la vraie vie. « Un des grands enjeux de la biologie moderne est de pouvoir étudier le tissu vivant et intervenir dessus, dans le contexte de son fonctionnement dans le corps humain», mentionne Yves De Koninck.
La biophotonique rend donc possible une analyse très fine de ce qui se produit au niveau moléculaire. «Nous savons déjà ce qui se passe dans les grandes lignes, explique Paul De Koninck. L’utilisation du laser nous permet toutefois de voir les détails qui font toute la différence.»
Vers le tricorder de Star Trek
La capacité d’identifier et de suivre une cellule, une protéine ou toute autre particule du même registre élargit grandement la voie du diagnostic et de la thérapie. La clé des diagnostics consiste à décoder la signature optique de la substance recherchée. «Il s’agit ensuite de concevoir l’appareil qui sera capable de l’identifier rapidement, ce qui n’est pas nécessairement facile», ajoute Paul De Koninck.
Ainsi, une équipe de l’Université Laval, regroupant le médecin Michel Bergeron et les chimistes Mario Leclerc et Denis Boudreau, s’active à concevoir des nanosondes pour détecter des maladies infectieuses. Intégrées au matériel d’analyse d’un lecteur optique hypersensible expérimental, ces nanosondes permettraient de détecter très rapidement quelques unités d’un pathogène. «On pourrait aussi imaginer éventuellement un lecteur optique capable de repérer et compter les globules blancs du sang à travers la peau et ainsi indiquer la présence d’une infection, ce qui permettrait d’intervenir très rapidement», mentionne Daniel Côté.
Le physicien a lui-même réussi, en collaboration avec des chercheurs américains, à suivre à la trace des cellules souches implantées dans la moelle osseuse d’un os du crâne d’une souris vivante. L’équipe a obtenu des images tridimensionnelles qui en révèlent un peu plus sur le comportement de ces cellules primordiales. Les détails de ce tour de force ont été publiés dans la prestigieuse revue Nature, le 4 décembre 2008.
Incidemment, la biophotonique trouve des applications dans bien d’autres domaines que l’étude des cellules ou la médecine. «À l’Université Laval, nous menons des travaux en collaboration avec l’Institut national d’optique afin de mettre au point des techniques de détection des agents pathogènes dans l’eau, l’air et les aliments», mentionne Paul De Koninck. Ainsi, au moyen d’une sorte de lecteur optique portable, il sera éventuellement possible de détecter quasi instantanément une bactérie comme Listeria ou encore des coliformes. «Ces appareils pourraient même sonder des aliments emballés», ajoute le chercheur.
D’un point de vue thérapeutique, la lumière est tout aussi intéressante. «L’énergie qu’elle dégage cause peu de dommage au corps humain, note Daniel Côté. C’est juste assez fort pour obtenir un résultat.». Et on lui trouve sans cesse de nouvelles applications. Depuis peu, les oncologues utilisent l’activation de médicament par la lumière pour s’attaquer à des tumeurs au cerveau ou au cancer de la peau. Cette thérapie lumineuse fait aussi son entrée dans l’arsenal pour combattre le psoriasis, une maladie de la peau particulièrement coriace, et la dégénérescence maculaire, une maladie de l’œil.
«Il s’agit sans doute d’une des applications actuelles les plus excitantes», lance Daniel Côté. Avec ce qu’on appelle la thérapie photodynamique, le médecin injecte d’abord un médicament inactif dans l’organisme. Puis, au moyen d’un laser, il active le poison uniquement dans la tumeur. Il atteint ainsi la cible en réduisant au minimum les dommages collatéraux que tous les patients ayant subi une chimiothérapie ou une radiothérapie ne connaissent que trop bien.
De leur côté, les médecins du Ontario Cancer Institute, à Toronto, utilisent le laser comme guide chirurgical. Au moyen d’un marqueur fluorescent s’illuminant sous l’effet du laser, il est possible pour le chirurgien de bien repérer les cellules cancéreuses, permettant ainsi une excision complète de la tumeur tout en laissant sur place les tissus sains, une distinction cruciale dans les cas de tumeurs au cerveau.
La neurobiologie, en particulier l’étude du cerveau, constitue d’ailleurs l’un des domaines de recherche qui devraient bénéficier le plus des progrès de la biophotonique. Notre organe pensant est fragile, et il est impensable d’en prélever une partie chez un malade à des fins d’examen. Yves De Koninck s’intéresse particulièrement à cette question. «La lumière ne pénètre qu’en surface dans les tissus nerveux, explique le neurobiologiste. Heureusement, dans le cerveau, il se passe beaucoup de choses en surface.» Pour aller plus en profondeur, il faudra toutefois créer des micro-endoscopes qui permettront de mesurer divers signaux à l’aide de la lumière, ce à quoi le groupe de Robert-Giffard travaille en collaboration avec le Centre d’optique, photonique et laser ainsi que l’Institut national d’optique.
Nouvelle discipline en pleine effervescence, la biophotonique implique finalement l’adaptation d’une multitude d’outils et de techniques aux sciences biologiques. «Nous ne sommes pas juste des utilisateurs de la lumière, remarque Yves De Koninck. Nous avons à effectuer un véritable transfert de technologies et à intégrer tous les moyens dont nous disposons pour étudier le vivant.» Bienvenue aux pionniers!
***
APPRENDRE À SE PARLER
Quand la science se complexifie au point d’exiger la collaboration de spécialistes de plusieurs champs, il est temps de former une équipe multidisciplinaire. Encore faut-il que ses membres se comprennent! «Biologistes et physiciens doivent apprendre à se parler», lance Paul De Koninck, responsable des programmes de maîtrise et de doctorat en biophotonique offerts depuis l’automne 2008 par l’Université Laval.
Un des objectifs avoués du programme est justement de briser la barrière des langages entre les spécialistes. Le défi est de trouver le point de rencontre entres physiciens et biologistes, qui parcourent le chemin des sciences en sens inverse. «Les physiciens élaborent des modèles théoriques qu’ils soumettent à l’expérimentation, tandis que les biologistes observent la réalité pour ensuite élaborer des modèles et des théories», résume le physicien Daniel Côté.
Les sciences de la vie et les sciences physiques étant les deux grands domaines impliqués en biophotonique, le programme d’études supérieures invitera les biologistes ou biochimistes à suivre des cours d’optique et les physiciens, ingénieurs ou chimistes à prendre des leçons de biologie. Résolument multidisciplinaire, le programme s’adresse tout autant aux diplômés de génie physique, de génie électrique, de génie chimique ou de chimie qu’à ceux de biochimie, de microbiologie, de physiologie, de biophysique, de biotechnologie, des sciences biomédicales et de biologie médicale.
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