Ces chercheurs qui inventent
Dans les laboratoires du campus, femmes et hommes de science cherchent… et trouvent! Leurs inventions, dans une variété de domaines, changent nos vies et améliorent la société.
Nathalie Kinnard
Eurêka! C’est probablement ce qu’a crié Tatjana Stevanovic, professeure au Département des sciences du bois et de la forêt, lorsqu’elle a réussi à produire, pour la première fois, de la fibre de carbone à partir de résidus forestiers.
Mme Stevanovic fait partie de ces chercheurs qui, en plus d’inventer un produit, ont osé prendre la route des affaires pour pousser leur découverte hors du labo. Tout comme l’ont fait les professeurs Clément Gosselin, du Département de génie mécanique, Guy Boivin, du Département de microbiologie-immunologie et infectiologie, Francesca Cicchetti, du Département de psychiatrie et de neurosciences, et Réal Vallée, du Département de physique, de génie physique et d’optique.
Ensemble, ces scientifiques cumulent 91 brevets, LA garantie officielle qu’une découverte est une invention avec un potentiel de commercialisation. Certains d’entre eux ont même tenté leur chance du côté de l’entrepreneuriat.
Cinq chercheurs, cinq parcours avec une trame commune: la recherche, l’avancement des connaissances et la formation de la relève. Et tant mieux si leurs découvertes se taillent une place sur les marchés!
De la lignine dans nos autos?
La lignine, cette molécule extraordinaire qui permet aux arbres de se dresser vers le haut, fascine Tatjana Stevanovic depuis son doctorat. «La lignine est un matériau naturel très riche en carbone, qu’on trouve en abondance sur la terre et, pourtant, on ne lui avait découvert presque aucune application à haute valeur ajoutée», explique la chercheuse. Les papetières s’en débarrassent même comme d’un déchet lors du processus de fabrication du papier. Au mieux, la lignine est brûlée pour générer de l’énergie.
Après plusieurs années de recherche, Tatjana Stevanovic et son équipe ont mis au point un procédé qui utilise l’éthanol et l’eau comme solvants pour extraire la lignine pure des copeaux de bois. «J’ai tout de suite entrevu les possibilités de valorisation de ce produit naturel, notamment comme source renouvelable de carbone, révèle l’ingénieure. Nous avons réussi à faire fondre la lignine, à la filer, à la stabiliser thermiquement et à la mettre en bobine: une première!» Ce matériau deviendra intéressant pour l’industrie automobile afin de remplacer la fibre de carbone produite à partir de ressources pétrolières, qui sert à renforcer châssis et carrosserie.
La compagnie LEVACO, une société d’investissement, s’est rapidement intéressée au procédé de Tatjana Stevanovic. Elle a incité la chercheuse à breveter ses travaux. Avec l’aide de SOVAR, la société de valorisation de la recherche associée au campus, Mme Stevanovic dépose, en 2016, une demande au Canada, aux États-Unis et dans quelques pays européens. Pourquoi le brevet? «C’est d’abord un geste sentimental pour voir un jour le fruit de mes recherches prendre vie et, éventuellement, les commercialiser», répond-elle.
Jusqu’à maintenant, la production de cette lignine sous forme de fibres de carbone reste complexe et réalisable seulement en laboratoire. L’équipe de Mme Stevanovic travaille toutefois à une solution qui permettrait une production en industrie. Son rêve? Rendre la fibre de carbone issue de la lignine encore plus résistante pour qu’elle soit utilisée dans le domaine aérospatial.
Une main robotisée intelligente
L’invention de Clément Gosselin et de son équipe du Laboratoire de robotique, elle, a déjà une portée aérospatiale. En fait, la main robotisée qu’ils ont conçue a failli se retrouver sur le bras spatial canadien!
«Nous avons développé une main intelligente qui s’adapte, telle une main humaine, à la forme des objets, afin d’effectuer des tâches dangereuses pour les individus. Elle bouge grâce à un système mécaniquement intelligent, contrôlé par ordinateur, qui permet d’effectuer des mouvements de saisie autonome», explique l’ingénieur.
Tout de suite, la compagnie MDA, qui a notamment fabriqué le bras spatial canadien, a compris le potentiel de cette invention et a incité le chercheur à breveter ses différents concepts de robotique. MDA a pris une licence pour les applications spatiales alors que trois étudiants du laboratoire ont décidé de fonder la compagnie Robotiq pour exploiter les applications terrestres. Comme il estime n’avoir pas tellement l’esprit entrepreneurial, le professeur Gosselin était enchanté que les étudiants qu’il supervise prennent cet aspect en main.
Quelques années plus tard, le chercheur a travaillé avec la compagnie GM pour concevoir des robots collaboratifs qui peuvent assister les travailleurs sur les chaînes de montage. Encore une fois, c’est le partenaire industriel qui le pousse à breveter ses travaux. Clément Gosselin avoue que le processus de brevets est parfois long et coûteux. Toutefois, si l’innovation est commercialisée, le chercheur reçoit une partie des profits, de l’argent qui peut être réinvesti, en recherche par exemple. «Ce n’est pas tant le profit qui importe, soutient le professeur Gosselin, que le gain en visibilité et en crédibilité.» Son laboratoire est aujourd’hui considéré comme un pionnier dans le domaine des mains robotisées. Loin de s’asseoir sur ses brevets, Clément Gosselin travaille déjà sur le prochain concept robotique, sans viser nécessairement le brevet: «Pour moi, le brevet est un plus, pas une fin.»
Vers un antigrippe efficace?
Pour Guy Boivin, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur les virus en émergence et la résistance aux antiviraux et chercheur au Centre de recherche du CHU de Québec-Université Laval, le dépôt du brevet est plutôt le début du travail. Le professeur vient d’ailleurs de déposer une demande pour protéger sa dernière découverte: les propriétés antivirales de deux médicaments existants. «Nous avons trouvé que l’étiléfrine et le diltiazem, utilisés respectivement comme stimulant cardiaque chez les personnes souffrant d’hypotension et comme traitement de l’hypertension et de l’angine de poitrine, avaient une activité antivirale contre la grippe», explique-t-il.
Ce n’est pas la première fois que Guy Boivin trouve une utilité cachée à des médicaments commercialisés pour une tout autre raison. Avec son équipe, il a conçu une approche qui permet de vérifier l’effet de différents médicaments sur les gènes des cellules respiratoires humaines.
C’est lors d’une année d’étude de recherche au sein de l’Université Claude Bernard Lyon 1 que Guy Boivin a démystifié l’aventure des brevets. «Mes collègues lyonnais m’ont encouragé à breveter notre plateforme de repositionnement appelée Flunext, qui trouve une nouvelle utilité à des médicaments sur le marché. J’ai d’ailleurs survécu à ce processus parfois lourd grâce à leur expertise», se rappelle-t-il.
Avec ces mêmes collaborateurs, le microbiologiste-infectiologue a fondé, en 2017, la compagnie Signia Therapeutics, basée en France, qui se spécialise dans le repositionnement de médicaments pour traiter les infections respiratoires virales. «Nous avons pris des licences sur nos brevets auprès de nos universités, ce qui nous a permis de générer rapidement près d’un million de dollars en capital», signale le chercheur. Il voit la création d’une compagnie comme un levier auprès des industries pour, notamment, financer les essais cliniques. Dans les prochains mois, il prévoit d’ailleurs créer une filiale québécoise de Signia Therapeutics pour accéder aux programmes de subvention nord-américains et commercialiser ses antiviraux de ce côté de l’Atlantique.
Mieux traiter le parkinson
Francesca Cicchetti, comme Clément Gosselin, dit ne pas posséder la fibre entrepreneuriale. Elle préfère s’allier à un partenaire industriel plutôt que de créer sa propre entreprise. Des compagnies pharmaceutiques s’intéressent d’ailleurs au dernier brevet qu’elle vient de déposer avec ses collègues pour ce qui pourrait devenir le premier biomarqueur de la maladie de Parkinson.
Au Québec, plus de 25 000 personnes souffrent de cette maladie neurodégénérative, la plus répandue après l’alzheimer. Actuellement, on détecte le parkinson à l’aide de tests cliniques qui vérifient la présence et la sévérité de symptômes comme des tremblements, de la rigidité et des problèmes cognitifs. Toutefois, seules des analyses post-mortem de tissus cérébraux peuvent confirmer le diagnostic. Dans l’espoir de dépister la maladie plus rapidement et plus efficacement, Mme Cicchetti et les membres de son équipe ont comparé le sang de personnes atteintes avec celui de sujets sains. Après maintes analyses, ils ont trouvé que le sang des malades contient plus de microvésicules extracellulaires. Plus encore, il existe une correspondance entre le nombre de microvésicules présentes, en particulier celles provenant des globules rouges, et les stades de la maladie.
Tout de suite, la neurobiologiste a voulu protéger la propriété intellectuelle de cette découverte. Ce n’était pas sa première demande de brevet. En 2011, elle en avait déposé une pour la cystamine, un médicament qui, chez l’animal, arrive à renverser certains aspects pathologiques associés au parkinson, tels que les troubles de motricité. La cystamine étant déjà utilisée dans le traitement d’autres maladies, l’innovation tient dans sa nouvelle application. C’est une compagnie pharmaceutique qui a approché la chercheuse pour lui demander de breveter sa découverte.
Le processus ne fut pas facile. Les États-Unis lui ont donné des maux de tête, car un autre chercheur aurait déposé le même genre de demande peu de temps avant elle.
Bien que Francesca Cicchetti ait pu obtenir le brevet dans plusieurs pays, la protection de sa découverte aux États-Unis, un des marchés les plus importants en pharmacie, demeure toujours impossible. Loin de se laisser abattre, la professeure fait actuellement des demandes de subventions pour faire ses propres essais cliniques et espère trouver un nouveau partenaire industriel. La patience est souvent de mise sur la route de l’innovation!
À la vitesse laser
Directeur du Centre d’optique, photonique et laser (COPL), Réal Vallée cumule les brevets et les démarrages d’entreprises dérivées. «Pas pour faire de l’argent, dit-il. Pour moi, breveter, c’est valoriser et transférer mes recherches vers une entreprise qui pourra les transformer en produit commercialisable.» Certaines innovations, nuance le professeur, ne se révèlent intéressantes commercialement que plusieurs années après l’obtention d’un brevet. Cette réalité ne le décourage pas.
Parmi les percées scientifiques auxquelles le chercheur et son équipe ont contribué, mentionnons un système d’usinage utilisant un nouveau type de laser à fibre qui peut découper, souder ou percer très précisément des matériaux polymères. Ou encore, des capteurs optiques microscopiques qui peuvent commander les neurones en les activant et en les désactivant afin d’étudier le tissu cérébral, suivre la progression de maladies neurodégénératives ainsi que les effets de traitements.
«Également, avec mon équipe, j’ai une demande de brevet en cours pour un système compact de laser à fibre femtosecondes, conçu notamment pour des applications biomédicales», signale Réal Vallée. Une femtoseconde, c’est un millionième de milliardième de seconde. Le chercheur explique qu’à cette vitesse, la lumière du laser agit de façon si précise, lorsqu’elle entre en contact avec un matériau ou un tissu humain, qu’elle ne cause pas de déformation de la matière attribuable à la chaleur. Des caractéristiques pratiques en médecine. «On peut aussi utiliser notre laser comme scalpel sans risque de dommages collatéraux pour nos tissus», précise le professeur.
Si le chercheur a beaucoup d’idées d’entreprises sur la table pour les travaux réalisés au COPL, il a aussi compris que sa force, c’est la recherche. «Mon rôle, c’est d’appuyer de jeunes entrepreneurs. Je viens ainsi renforcer la gamme d’entreprises en photonique et je m’assure que nos travaux soient valorisés», soutient-il. C’est ainsi qu’il agit en tant qu’actionnaire minoritaire dans l’entreprise FEMTUM, démarrée par deux étudiants du COPL pour commercialiser le nouveau type de laser à fibre ultrarapide. Le chercheur peut ainsi se concentrer sur la prochaine innovation en photonique, tout en gardant un œil paternel sur celles sorties de son laboratoire.
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Un brevet, mais encore?
«Un brevet, c’est avant tout un outil de valorisation et de transfert de connaissances qui permet d’intéresser le milieu industriel aux technologies conçues à l’Université», rappelle Jean-François Simard, directeur du Bureau de liaison université-milieu et adjoint à la vice-rectrice à la recherche, à la création et à l’innovation. Chaque année, le campus reçoit plus d’une vingtaine de divulgations d’invention, première étape vers le brevet. Certaines se convertiront en brevets, d’autres non, faute de potentiel commercial ou de données probantes suffisantes. Parmi les brevets obtenus, quelques-uns seront abandonnés après deux ou trois ans s’ils ne trouvent pas preneur.
Avec 1600 chercheurs sur le campus, on peut sourciller devant la petite quantité de divulgations d’invention annuellement. «Contrairement aux Américains, les chercheurs québécois n’ont pas encore cet instinct de breveter, explique la chercheuse Francesca Cicchetti. On pense plutôt à publier ou à présenter nos résultats dans des colloques.» À ce sujet, le microbiologiste-infectiologue Guy Boivin suggère d’attendre parfois un peu avant de publier, ou encore de garder certains résultats pour les brevets et d’autres pour les articles. Jean-François Simard ajoute cependant que, pour plusieurs chercheurs, le brevet ne sera jamais une option. Par exemple, un logiciel ou un algorithme se brevètent très difficilement. En date du 31 mars 2018, l’Université Laval détient tout de même 571 brevets actifs.
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