L’art de combattre l’insomnie
Une personne sur trois vit au moins un épisode d'insomnie au cours de sa vie d'adulte, situation perturbante mais pas irrémédiable. Entrevue avec un spécialiste.
Propos recueillis par Julie Picard
Depuis une trentaine d’années, Charles Morin1 étudie l’insomnie sous toutes ses coutures. Le but du directeur du Centre d’étude des troubles du sommeil: comprendre les subtilités de ce problème majeur afin d’aider les insomniaques à retrouver une bonne qualité de vie.
Qu’est-ce que l’insomnie?
On parle d’insomnie quand la qualité ou la continuité de la durée du sommeil est compromise. Les gens qui souffrent d’insomnie ont soit du mal à s’endormir en début de nuit, soit un problème de réveil trop tôt, soit un sommeil perturbé par un ou plusieurs réveils en plein milieu de la nuit. Certaines personnes souffrent même d’insomnie mixte, c’est-à-dire d’un mélange des trois. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’insomnie n’est pas seulement un problème nocturne, puisqu’elle affecte la vie diurne de ceux qui en souffrent. Fatigue, baisse d’énergie, problèmes d’humeur, d’attention, de concentration et de mémoire sont quelques-uns des symptômes ressentis par les insomniaques pendant le jour.
L’insomnie en quelques mots:
Ce problème est-il répandu?
L’insomnie est le trouble du sommeil le plus fréquent et celui qui touche le plus grand nombre de personnes. Au Québec, on estime qu’entre 25 et 30% de la population adulte vit, à un moment ou à un autre de sa vie, un épisode d’insomnie. C’est ce qu’on appelle l’insomnie occasionnelle ou situationnelle. D’autre part, le problème est persistant chez environ 10% de la population adulte. On parle alors d’insomnie chronique, un véritable problème de santé publique présent dans toutes les couches de la population.
1 Charles Morin est professeur à l’École de psychologie, directeur du Centre d’étude des troubles du sommeil et membre du Centre de recherche de l’Institut universitaire en santé mentale de Québec. ↩
Comment devient-on insomniaque?
On remarque que ce trouble du sommeil touche davantage certaines catégories de personnes: les femmes, les personnes âgées, les travailleurs de nuit, les gens aux prises avec un trouble anxieux ou ceux qui ont tendance à être physiologiquement hyperactifs (rythme cardiaque élevé, pression artérielle élevée…). Des facteurs psychologiques, biologiques, hormonaux (cycle menstruel, ménopause…) et familiaux peuvent être pointés du doigt.
Tout le monde est en quelque sorte prédisposé aux troubles du sommeil comme l’insomnie. La plupart du temps, un événement déclencheur stressant cause une période d’insomnie. Un décès, une séparation ou même la naissance d’un enfant peut altérer la qualité du sommeil. Mais dans certains cas, l’insomnie développe sa propre vie et devient alors chronique.
Les insomniaques veulent tellement s’endormir qu’ils en font une obsession, ce qui engendre une grande anxiété de performance. Parce qu’ils se mettent une pression énorme, plus ils veulent dormir, plus les bras de Morphée sont hors de leur portée. C’est de ce cercle vicieux que doivent se sortir les insomniaques chroniques.
Peut-on être insomniaque «de famille»?
On pense qu’il y a une composante génétique à l’insomnie. Les antécédents familiaux y seraient pour quelque chose. Mais devient-on insomniaque parce qu’on côtoie des proches qui sont insomniaques? L’insomnie serait alors considérée comme le résultat d’un apprentissage. Ou avons-nous quelque chose de programmé dans nos gènes qui fait que, inévitablement, nous développerons ce problème? Nous poursuivons les recherches pour savoir dans quelle proportion l’hérédité et l’environnement sont responsables de l’insomnie.
Quelles sont les conséquences sociales de l’insomnie?
Un aspect de l’insomnie qui reste parfois dans l’ombre est le fardeau économique lié à ce trouble. Nos études ont permis de chiffrer cet aspect. Au Québec, on estime à 5000$ par insomniaque chronique par année les coûts directs (médicaments ou autres produits naturels, consultations médicales, honoraires de psychologues, alcool) et indirects (absentéisme au travail, baisse de productivité…). Pour celui qui souffre d’insomnie occasionnelle, on parle plutôt de 1500$ par année. Ce qui est assez impressionnant, c’est que seulement 10% de ces montants sont investis dans le traitement de l’insomnie. C’est très peu!
Comment êtes-vous parvenu à dresser un portrait de l’insomnie?
Les insomniaques sont-ils condamnés à se médicamenter?
Les somnifères sont efficaces et représentent une bouée de sauvetage en situation d’insomnie aigüe. Ils peuvent donc être utiles à court terme: ça ne sert à rien de passer une nuit blanche! Cependant, chez les insomniaques chroniques, nous suggérons de coupler la prise de médicaments à une thérapie comportementale. Depuis plusieurs années, je travaille avec d’autres chercheurs au développement et à la validation d’un traitement non pharmacologique.
Il y a des gens qui ne répondent pas au traitement médical. Et il y a aussi des gens qui ne répondent pas au traitement psychologique. C’est pourquoi il faut évaluer l’apport relatif de chacun. Y a-t-il une valeur ajoutée à offrir un traitement psychologique à quelqu’un de résistant aux somnifères, et vice-versa? C’est ce que nous essayons de démontrer.
L’important, c’est que l’insomniaque soit bien outillé. Parfois, de simples gestes peuvent faire toute la différence et l’aider à diminuer la gravité de son problème. Changer certaines habitudes et comportements avant d’aller se coucher ou une fois installé dans son lit est tout indiqué. D’ailleurs, des thérapies comportementales ont déjà fait leurs preuves et suggèrent des stratégies efficaces pour vaincre l’insomnie.
Quelles ressources sont à la portée des insomniaques?
Au Québec, on traîne de la patte. Il existe très peu de cliniques de sommeil. Une personne qui souffre d’insomnie peut tout de même consulter un médecin, une infirmière ou un psychologue pour tenter de régler son problème. Dans le cadre de projets de recherche subventionnés, nous pouvons aussi procéder à des enregistrements de sommeil en laboratoire.
Que vous apprennent de tels enregistrements?
Tout n’est donc pas perdu pour les insomniaques?
Absolument pas! L’insomnie est un problème complexe, mais les efforts mis dans les recherches sur la question donnent des résultats probants. L’important pour la personne qui éprouve ce trouble du sommeil, c’est de ne pas laisser la maladie gagner du terrain. Plus on agit tôt, plus on risque d’en diminuer les effets néfastes.
Publié le 7 novembre 2012
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