Pensées de design
Publié le 30 octobre 2014 | Par Caroline Gagnon
Ce bel objet que j’aime
Est-ce que le design se limite à embellir les objets? À enjoliver, à rendre beau, à concevoir du beau? Bien sûr que non, mais il vise en effet à embellir notre quotidien, à créer du beau afin de rendre la vie agréable. On associe toutefois trop souvent le beau à un travail sur l’apparence et le superficiel; en conséquence, on occulte l’expertise réelle du designer. Le beau ne serait pas uniquement la finalité du travail du designer, travail ne devant pas être confondu avec un exercice cosmétique. Le design implique, faut-il encore le souligner, de considérer un ensemble de contraintes et de dimensions (techniques, économiques, sociales, psychologiques, ergonomiques, esthétiques, etc.) afin de concevoir des objets attrayants, utiles et attachants, des objets qu’on aime, qu’on apprécie et qui nous accompagnent dans notre vie et nos expériences.
La beauté et ses ambiguïtés en design
Ainsi, la notion de beauté en design cultive des ambiguïtés. Elle s’inscrit dans les rapports à la fois fonctionnels, d’usage et symboliques des objets.
Il n’en demeure pas moins que de nombreux designers ont été abordés par des clients avant tout pour leur expertise du beau. Un produit ne se vend pas, est mal perçu par la clientèle, on le trouve peu attrayant et, du coup, on pense à consulter un designer avec cette simple question: peut-on embellir ce produit?
Dans le cadre de mes recherches en design public, cette question du beau et de l’embellissement des projets comme stratégie d’acceptabilité sociale est apparue comme fondamentale. Il faut savoir que je me suis alors intéressée à tout ce qui pouvait être jugé laid dans l’espace public et dans nos milieux de vie, qu’on pense aux infrastructures ou aux équipements électriques et techniques qui ont été conçus davantage en termes de réseau et d’utilité publique que comme une contribution à la qualité du cadre de vie. Du coup, les citoyens réagissent mal à ces objets strictement fonctionnels et industriels dans leur paysage quotidien, considérant qu’ils sont laids et qu’ils dégradent leur environnement familier. Comment intervenir pour améliorer cette situation? Et surtout, comment peut-on rendre un objet beau?
Comprendre la relation sensible aux objets
S’il existait une formule pour répondre à cette grande question, on serait alors bien aise. Mais tenter d’y répondre, c’est explorer le monde de l’esthétique prise au sens des valeurs, des sensations et des perceptions qui nous lient à nos environnements et qui en font des milieux appréciés ou non. C’est aussi comprendre le monde des formes et des couleurs ainsi que les jeux d’harmonie et de compositions formelles. C’est comprendre la relation esthétique (la sensibilité) entre ce monde matériel et les personnes qui y vivent.
Cette relation sensible nous importe pour définir notre milieu de vie et les objets dont on ne veut se départir, qu’on aime, qu’on adore, qui ont de la valeur. Créer du beau, c’est donc comprendre cette valeur qu’on accorde aux choses et qui génère du sens. Cette sensibilité esthétique nous lie à notre environnement et nous pousse à en prendre soin, à y conserver nos objets les plus chers et à s’y sentir bien, ce que certains qualifient de «durabilité affective».
«It’s time for a new generation of products that can age slowly and in a dignified way, become our partners in life, and support our memories.» –Enzo Manzini1
Le beau, sans la superficialité associée au cosmétique, serait ainsi une condition de la durabilité et de la responsabilité environnementale. Créer du beau serait alors créer du sens pour susciter un attachement aux objets qui nous entourent. Parce qu’on souhaite conserver longtemps les objets qu’on aime. Par rapport aux enjeux environnementaux, la tâche la plus noble du designer serait en effet celle-là; susciter cette longue relation sensible et affectueuse avec le monde matériel.
«La multiplication des jouets me paraît favoriser l’infidélité: l’enfant ne s’attache en définitive à aucun, zappant de l’un à l’autre d’autant plus vite que les jouets sont nombreux. Il n’y a pas de raison pour que, plus tard, il se comporte différemment avec les gens, ami ou amant. Partisan d’un amour unique, j’ai rêvé d’un jouet unique, une sorte d’entraînement à un attachement durable. Jouet surréaliste, TeddyBearBand fait aussi appel à l’imagination, bien plus loin que le simple ours en peluche. Il permet de placer l’amour et l’amitié en dehors du champ de la consommation.» –Philippe Starck2
1 Citation tirée de P-P. Verbeek et P. Kockelkoren. 1998. «The things that matter». Design Issues, vol. 14, no. 3, automne, p. 29. ↩
2 Citation tirée de Good Goods catalogue. 1996. http://www.starck.com/data/design/design_fiche/555/fichier_good_goods_catalogue_scan_c99e3.pdf ↩
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